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L' ouverture à la concurrence du marché domestique ferroviaire en France

03 février 2021
Transport et mobilités

La politique d'ouverture du marché européen des transports a débuté dans les années 90 avec la libéralisation des transports aériens, fluviaux, routiers et maritimes à courte distance. A l’époque, l’objectif était double : optimiser le potentiel et l’utilisation de l’ensemble des modes de transport. En 2006, ces objectifs ont été revus par la Commission Européenne afin de pouvoir tenir compte de nouveaux éléments conjoncturels tels que la transition énergétique, les défis liés à la sureté ou encore l’élargissement de l’Union Européenne.

I. Mise en place de l’ouverture à la concurrence

En France, la libéralisation du marché transport ne s’est pas faite en une seule fois. Plusieurs étapes se sont succédées depuis les années 2000, permettant tout d’abord l’ouverture à la concurrence dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises, puis l’ouverture du transport international de voyageurs en 2009 et enfin l’ouverture à la concurrence des transports nationaux de voyageurs qui entrera en vigueur en 2021 et ceci sous deux formes : l’open access (services non conventionnés) qui concernent les trains grandes lignes de type TGV et les Intercités gérés par opérateurs privés et les contrats de service public (services conventionnés) qui concernent les Intercités et les TER gérés par les régions et l’État.

Afin que cette ouverture soit bénéfique pour l’ensemble des acteurs du secteur, plusieurs critères doivent être respectés. Il a fallu notamment séparer les activités de gestion d’infrastructure et les installations de service de celles des activités de transporteur, mettre en place des autorités organisatrices disposant de moyens suffisant pour gérer efficacement les processus d’appels d’offres ainsi que des conditions transparentes et non discriminatoires pour l’accès aux appels d’offres[1].

En ce sens, un calendrier en plusieurs étapes est défini :

  • Décembre 2020 : Possibilité pour d’autres opérateurs que la SNCF de faire rouler des trains de transport de voyageurs sur le réseau ferroviaire,
  • Décembre 2023 : obligation pour les régions ou l’État de lancer des appels d’offres pour l’exploitation des lignes subventionnées et de laisser un libre accès à la concurrence,
  • De 2023 à 2039 : l’ouverture du marché concurrentiel doit s’étendre à toutes les liaisons y compris le Transilien en Île-de-France.
     

II. Quels sont les effets de cette ouverture à la concurrence ?

Les exemples de libéralisation du marché des transports dans les autres pays européens (Allemagne, Royaume-Unis, Suède…) avec notamment le secteur du fret nous donnent des enseignements riches sur les effets potentiels qu’aura cette ouverture sur le marché français des transports.

Premièrement, on a pu constater chez nos interlocuteurs européens que la demande et l’offre sur le marché des transports nationaux de voyageurs ont crû depuis l’ouverture de la concurrence sur le marché. A titre d’exemple, côté demande, en Allemagne, qui a largement ouvert son transport régional, la fréquentation a augmenté de 88,3 % entre 1996 et 2016[3] (soit 4,4% en moyenne annuelle). En Suède, la fréquentation a progressé de 80 % entre 1988 et 2013 (soit 3,2 % en moyenne annuelle) puis de 2,5% entre 2010 et 2015 et en Grande-Bretagne selon l’ARAFER, celle-ci a plus que doublé sur la période 1994-2015 avec une augmentation de 66% (6% en moyenne annuelle). En Italie, la fréquentation des trains longue distance a progressé de 49% entre 2012 et 2015. Sur la même période, l’opérateur historique Trenitalia a vu son trafic augmenter de 24% et son concurrent Italo affiche une hausse de trafic de 355%[4].

De plus, on peut s’apercevoir que la mise en concurrence de différents opérateurs s’accompagne habituellement d’une amélioration des services aux voyageurs dû à une concurrence accrue entre les opérateurs. En Italie, de nouveaux services à bord ont vu le jour (mise en place un Wi-Fi gratuit, des services multimédias…) et les opérateurs ont également étendu leurs offres de service en proposant des services complémentaires comme la location de voiture ou encore l’autopartage.

En Allemagne, cette amélioration passe par un renouvellement du parc matériel roulant qui se traduit par le rajeunissement de l’âge moyen du parc existant qui est passé de 17,3 ans à 7,5 ans entre 1997 et 2015.

D’autre part, l’ouverture à la concurrence a la plupart du temps des effets positifs sur les prix. En Italie par exemple (ou les services non conventionnés sont concernés) les opérateurs ont revu la structure tarifaire de leurs services en mettant en place une troisième classe et un système de réservations avec des tarifs différenciés. Par ailleurs, Trenitalia a également réduit de 31 % ses prix sur le trajet Milan-Rome entre 2011 et 2012.

Cependant, en Allemagne, au Royaume-Unis et en Suède, la baisse constatée des coûts de production, n’a pas pour autant été suivie par les autorités organisatrices pour baisser les tarifs aux usagers des services conventionnés, qui ont eu tendance à augmenter au-dessus de l’inflation.

Néanmoins, on ne peut pas généraliser ce constat et dire que l’ouverture à la concurrence des services conventionnés entraîne forcément une hausse des tarifs car ils dépendent avant tout des autorités compétentes mais il reste à noter que la libéralisation du marché des transports ferroviaires nationaux n’est pas forcément synonyme d’une baisse généralisée des prix pour les usagers des transports.

III. Etat des lieux du marché des transports en France 

Contrairement à ce que l’on pouvait espérer, l’ouverture à la concurrence en France dans le fret a sauvé le secteur du déclin mais ne l'a pas redressé. En effet, malgré les initiatives des différents gouvernements pour relancer le fret ces dernières années, la relance n’est pas au rendez-vous comme en témoigne l'arrêt du dernier train français pour transporter des denrées périssables entre Perpignan et Rungis en 2019. Par ailleurs, la part du secteur dans le transport de marchandise ne représente que 9,9%[5] et plusieurs raisons expliquent cet échec. Outre les différents mouvements sociaux et les crises économiques, l’obsolescence des infrastructures engendre une qualité de service faible. Les trains de marchandises sont lésés au détriment des trains de voyageurs qui sont par exemple favorisés au niveau de la répartition des sillons et la souplesse du transport routier ( qui est le principal concurrent du fret) est favorisée par une logistique du “juste à temps” et du “zéro stock”.

Le 27 juillet dernier, le gouvernement a annoncé vouloir stimuler de nouveau le développement du fret ferroviaire afin que son niveau revienne à celui des années 2000 (soit 18% du transport de marchandise) afin de réduire les émissions de CO2 causées par le transport routier avec les poids lourds[6].

Ce nouveau plan est bien accueilli par les acteurs du secteur mais l’enthousiasme est modéré car pour que ce plan ait des effets positifs sur le secteur de nombreux enjeux sont à prendre en compte : le réseau ferroviaire doit être modernisé, les coûts de production doivent être réduit et il faut attribuer davantage de créneaux horaires aux trains de marchandises sur les rails.

Du côté de l’ouverture à la concurrence des transports nationaux de voyageurs, les préparatifs se poursuivent. Plusieurs régions françaises ont déjà annoncées leurs souhaits d’ouvrir certaines de leurs lignes à la concurrence :

  • Hauts-de-France : afin de fournir un meilleur service à ses usagers, la région Hauts-de-France a décidé d’ouvrir 20 % de ses lignes ferroviaires à la concurrence. Pour débuter, trois lots seront soumis à la concurrence. Il s’agit la ligne Paris-Beauvais, l'étoile d'Amiens (le lot le plus important avec 3,4 millions de trains-km/an) qui regroupe l’ensemble des lignes reliant les villes de Abbeville, Laon, Creil, Compiègne et enfin l’étoile de Saint Pol qui concerne l’ensemble les lignes entre Saint-Pol-sur-Ternoise et Arras, Béthune et Étaples. La région a choisi ces trois lots afin qu’aucun acteur ne soit défavorisé avec une prise en compte des lignes à faible, moyen et fort rendement.
  • La région Sud : pionnière en France dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, la région Sud a lancé un appel d’offre début 2020 pour les services autour de Nice qui représentent 23% de l’offre et les liaisons Marseille-Toulon-Nice qui représentent 10% de l’offre TER.
  • La Région Grand Est : le conseil régional a décidé d’ouvrir à la concurrence la gestion de la circulation et des infrastructures. L’objectif de ce modèle est de développer l’attractivité de la région par la réouverture de petites lignes autour d’Epinal (Vosges) et de Strasbourg ((Bas-Rhin). Pour le moment, les lignes concernées sont la ligne Nancy-Contrexéville et la liaison "Bruche-Piémont-Vosges[7].
  • Etat : L’Etat a décidé d’ouvrir à la concurrence les liaison les liaisons Intercités Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon. La société de transport française Transdev a déjà annoncée qu’elle allait répondre à cet appel d’offres.
  • Ile-de-France : Valérie Pécresse a annoncé vouloir engager le processus d'ouverture à la concurrence dès la fin 2023[8]. Les premières lignes de Transilien concernées seront la ligne J (Saint-Lazare-Vernon et Saint-Lazare-Gisors), la ligne R (Gare de Lyon-Montargis et Gare de Lyon-Montereau) et la ligne P (Gare de l’Est-Provins / Gare de l’Est-Coulommiers / Gare de-l’Est-La Ferté Milon / Gare de l’Est-Château Thierry / Gare de l’Est-Esbly / Gare de l’Est-Crécy-la-Chapelle)

Les principaux concurrents de la SNCF commencent à se faire connaître.  La société Railcoop (première coopérative ferroviaire en France) a fait valoir son attention de faire rouler des trains sur la liaison Bordeaux-Limoges-Lyon, Rennes et Toulouse et entre Thionville et Lyon en 2022. La compagnie espagnole Renfe a annoncée qu’elle allait assurer à partir de fin 2021 cinq allers-retours entre Lyon et Marseille et la société italienne Trenitalia devrait lancer des trains à grande vitesse sur Paris-Lyon-Milan. Les compagnies françaises RATP, allemande Deutsche Bahn, néerlandaise Abellio, ou encore hongkongaise MTR ont également fait part de leurs volontés à intervenir sur le marché français[9].

IV. L’impact de la Covid-19

Tout comme pour d’autres secteurs, la pandémie a eu un impact significatif pour plusieurs acteurs du secteur. En Allemagne par exemple, à la suite des pertes probables du groupe ferroviaire Deutsche Bahn (entre 11 et 13,5 milliards d'euros sur la période 2020-2024), l’Etat Allemand (actionnaire unique du groupe) a indiqué qu’il était prêt à recapitaliser l’entreprise si nécessaire afin de compenser les pertes liées à la Covid-19[10].

Au Royaume-Uni, le gouvernement prévoit une renationalisation partielle de ses chemins de fer (celle-ci concerne le réseau du Nord de l’Angleterre) car les services fournis par les compagnies privées ne peuvent être assurés en période de crise sanitaire. Le premier ministre Boris Johnson souhaite mettre en place une réforme afin de créer une seule entité pour gérer l’ensemble des lignes voyageurs circulant sur le réseau britannique. Avec cette réforme, l’Etat contrôlerait les revenus et distribuerait les bénéfices aux compagnies qui obtiendraient de bonnes performances. Cette réforme a également pour but de mieux gérer les transports afin d’éviter que des zones soient défavorisées[11].

En Italie, la société Thello, filiale de la compagnie italienne Trenitalia qui a dû suspendre ses liaisons avec la France au début du confinement, a annoncée l’arrêt définitif de sa liaison Marseille-Nice-Milan courant du 1er semestre 2021 (elle poursuivra sa liaison depuis Milan avec Lyon, via Modane). La direction de Trenitalia a indiqué être dans une phase de transition et que cette décision s’inscrit dans un projet beaucoup plus grand qui concerne les lignes de grande vitesse françaises[12].

Dans la même lancée, la compagnie allemande FlixMobility a annoncé le report de ses projets français pour cause de coûts d’accès aux infrastructures trop élevés. L’opérateur était intéressé par les liaisons Paris-Bruxelles, Paris-Lyon, Paris-Nice (de nuit), Paris-Toulouse et Paris-Bordeaux.[13]     

Pour conclure, la libéralisation du marché français des transports ferroviaires va sans doute engendrer un grand nombre de changements dont les effets seront potentiellement bénéfiques pour le secteur en témoignent les exemples similaires de libéralisation du marché chez d'autres pays européens. Cependant, il est à noter que ces effets bénéfiques sont à nuancer dû à plusieurs facteurs notamment la crise de la COVID-19 qui devrait avoir un impact significatif sur la croissance du secteur dans les prochaines années.

Enfin, malgré ces incertitudes et les pertes financières engendrées par la crise sanitaire actuelle, la libéralisation du secteur continue son avancée et les principaux concurrents se font déjà connaître laissant présager une forte mutation du transport ferroviaire à moyen et à long terme.

V. L’avis de l’expert Transport & mobilités Pierre Plaindoux 

La France connaît la concurrence dans le fret ferroviaire, mais la découvre dans le domaine voyageur très différent, de part son organisation, ses clients évidemment, et son matériel utilisé. 

Pour réussir, l'ouverture du marché devra voir apparaître de nouveaux modèles d'exploitation et trouver de nouveaux équilibres économiques dans un secteur à faible rentabilité. L'arrivée d'une coopérative, Railcoop, pour relancer une ligne déclarée très déficitaire par la SNCF, en est un bon exemple, en fédérant un collectif et en ne cherchant qu'un simple équilibre économique. D'autres entrepreneurs ont des idées qu'ils aimeraient voir se concrétiser. Les pays où la concurrence est déjà en place de longue date, ont créé un écosystème d'opérateurs permettant de créer aisément un service ferroviaire complet : de la traction, avec des ressources de conducteurs rares, des services à bord et à quai, et tout particulièrement du matériel ferroviaire coûteux disponible et maintenu. Car l'un des gros freins aux nouvelles initiatives réside dans la complexité à louer du matériel, et à l'adapter à un service qui se veut innovant. C'est le rôle des ROSCO (ROlling Stock Company), qui en France ont l'habitude de louer des trains régionaux et surtout des locomotives, mais pas encore suffisamment des voitures voyageurs, ou des trains à grande vitesse. En proposant ce type de matériel, elles pourraient rapidement booster les initiatives.

L'ART, Autorité de Régulation, et l'État, ont aussi un rôle à jouer créant les conditions de cette concurrence, en particulier en adaptant la tarification du réseau ferroviaire. Elle doit être plus représentative des coûts réels de passage des trains dans une industrie à coûts fixes : quitte à pérenniser une voie, autant que le plus grand nombre de trains y circulent.

Rendez-vous dans 5 ans pour constater comment les idées nouvelles se seront concrétisées, et lesquelles sauront se distinguer.

Sources : 

[1] http://autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2018/03/ouverture-concurrence_transport-ferroviaire-partie1.pdf

[2] https://www.sncf.com/fr/groupe/notre-strategie/ouverture-concurrence

[3] http://transportrail.canalblog.com/pages/allemagne---20-ans-de-concurrence-regionale/34439173.html#:~:text=Le%20nombre%20de%20voyageur%2Dkilom%C3%A8tres,a%20%C3%A9t%C3%A9%20r%C3%A9duit%20de%2030%20%25

[4] http://transportrail.canalblog.com/pages/italie---la-concurrence-a-grande-vitesse/36295816.html

[5] https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/cinq-questions-sur-plan-de-relance-du-fret-ferroviaire-1227120

[6] https://www.ouest-france.fr/economie/transports/train/pourquoi-la-relance-du-fret-ferroviaire-n-est-pas-gagnee-d-avance-6921295

[7] https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200301-pourquoi-royaume-uni-renationalise-chemins-fer%C2%A0

[8] https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/pecresse-veut-accelerer-la-mise-en-concurrence-dans-les-transports-franciliens-1169387

[9] https://www.banquedesterritoires.fr/ouverture-la-concurrence-des-ter-cinq-regions-en-premiere-ligne

[10] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/rail-pour-sauver-la-deutsche-bahn-l-etat-allemand-va-injecter-des-milliards-d-euros-au-capital-847442.html

[11] https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200301-pourquoi-royaume-uni-renationalise-chemins-fer%C2%A0

[12] https://www.lechotouristique.com/article/train-thello-veut-fermer-sa-ligne-marseille-nice-milan-en-2021

[13] https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-flixbus-reporte-son-lancement-de-trains-en-france.N953516

Solène MBOU
Consultante