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L’industrie de la défense à l’aube d’un réarmement des pays occidentaux

17 novembre 2022
Industrie

La guerre entre la Russie et l’Ukraine met en avant la faible capacité de production de la défense européenne. Le réarmement rapide souhaité par la plupart des pays européens est un défi pour l’industrie de la défense qui doit augmenter ses cadences de production en conséquence.

En 2016, Michel Barnier alors conseiller spécial du président de la Commission européenne sur la question de la défense indiquait « Nous avons accumulé un retard d’investissement énorme ! ». 6 ans plus tard et après une pandémie mondiale ayant mis en avant les faiblesses de l’Union Européenne sur l’industrie pharmaceutique, la guerre en Ukraine a mis aussi en avant les faiblesses de l’Europe sur l’industrie de défense celle-ci n’étant pas du tout préparée à une guerre de haute intensité.

En effet, une telle guerre nécessite de la masse, de la technologie et des stocks. L’industrie européenne de défense a bien la technologie mais pas la capacité pour faire de la masse et du stock au contraire des industries russes et chinoises. Ceci est renforcé par l’éparpillement des industriels et budgets consacrés à la défense au sein de l’Union Européenne.

Une baisse des budgets constante depuis les années 90

Avec la baisse des budgets notamment depuis la chute de l’URSS, l’industrie de la défense s’était adaptée aux étalements de commandes comme le montre la production du Rafale où en 1989, l’état avait commandé 320 appareils avec un étalement des livraisons jusqu’en 2010 puis révisé sa commande en 2004 à 294 appareils puis 286 en 2008 pour un étalement jusqu’en 2030. Les industriels ont donc appris à travailler lentement et il sera complexe de faire augmenter significativement la cadence de production.

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Les cadences de production dépendantes d’investissement étatique

En effet, l’augmentation des cadences nécessitera des investissements dans l’outillage et les chaînes de production notamment pour les grandes sociétés d’armement mais aussi pour tous leurs sous-traitants (500 par exemple pour le Rafale). Il faudra aussi tenir compte des délais d’approvisionnement des composants et des matières premières. La production industrielle de défense doit donc être repensée. Or au contraire de l’industrie civile, qui peut produire en vue de stocker pour des futures ventes, Eric Béranger, PDG de MBDA, rappelait lors d’une audition au Sénat que « produire des armes est interdit par la loi, donc on ne peut pas produire des armes en avance et les stocker s’il n’y a pas un contrat en face. Les seules choses qu’on peut stocker sont des composants, qui après devront être assemblés ».

Un impact possible sur les pratiques économiques ?

En attendant les éventuels contrats fermes, les industriels peuvent-ils augmenter le stockage des composants en s’appuyant sur les propos d’Emmanuel Macron lors de son déplacement au salon Eurosatory le 13 juin ? En effet, celui-ci affirmait que la France et l’Union européenne sont entrées dans « une économie de guerre dans laquelle (…) nous allons durablement devoir nous organiser ». Autrement dit, faut-il préparer le pays à une pratique économique exceptionnelle lui permettant d’être autosuffisant, de dissuader la consommation privée, de garantir la production alimentaire et d’étatiser encore plus le contrôle de l’économie ?

Nous n’en sommes pas encore là mais Sébastien Lecornu, Ministre des armées, a déjà précisé l’impact pour l’industrie de défense des propos du chef de l’Etat en indiquant que « les industries doivent se préparer à tenir des programmes (d'armements) parfois plus courts dans la durée" et d'"être capables aussi parfois de massifier", de produire davantage.
On peut donc s’attendre dans les prochaines années voire les prochains mois à plusieurs impacts pour l’industrie.

Une reconstitution des stocks d’armes

L’industrie de défense va devoir reconstituer des stocks actuellement au plus bas dont une partie a été envoyée en Ukraine. Pour cela l’état devra passer des commandes fermes permettant aux industriels d’avoir de la visibilité et de mobiliser toute leur chaîne d’approvisionnement et de fournisseurs.

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Un approvisionnement des matières premières à revoir

L’industrie de défense va devoir surmonter les problèmes d’approvisionnement en matière première comme le titane dont l’aéronautique est complètement dépendante de la production Russe et qui pour l’instant n’est pas concernée par les sanctions. Certes, l’Europe pourrait se retourner vers la filière américaine mais les Etats-Unis ont un arsenal juridique qui leur permet de toujours se servir les premiers.

Cependant grâce, aux solutions de GPAO (Gestion de la Production Assistée par Ordinateur) les industriels vont pouvoir encore améliorer leur gestion des stocks de matières premières et connaître facilement leur capacité de production à partir de ceux-ci. Les imprimantes 3D vont permettre aussi de limiter la consommation de matière première comme l’a montré MBDA dans son usine du futur de Bourges.

Une production d’armes moins chères et plus nombreuses

L’industrie de défense doit se préparer à produire de l’armement moins cher avec une cadence de production élevée (Drones de combat, drones kamikazes, missiles simplifiés, etc.). Là encore l’industrie 4.0 est un formidable outil permettant d’y arriver.

En effet, l’intégration du digital dans le processus de fabrication va permettre de valoriser des données en vue d’anticiper les éventuelles pannes (maintenance prédictive) et d’optimiser les coûts d’énergie (indispensable à l’heure ou le prix des énergies augmente).

Les jumeaux numériques permettront aussi de réduire les coûts de conception et de test de toute modification à apporter suite, par exemple, à des retours provenant du théâtre des opérations.

Une réquisition possible des industries civiles

L’industrie civile doit se préparer à être réquisitionnée. Pour cela, la DGA (Direction Générale de l’Armement) travaille sur texte de loi inspiré de la loi américaine « DPAS » (Defense Priorities and Allocations System Program).

La loi permettrait de forcer les industries de défense à privilégier les chaînes de productions militaires au détriment du civil. Par exemple Airbus devrait réduire sa production d’avion civil pour privilégier la production militaire. Ces mêmes entreprises devront identifier les sociétés aux compétences proches qui pourrait fournir une capacité supplémentaire.

L’état pourrait réquisitionner une entreprise civile afin d’aider une entreprise de défense à augmenter sa cadence de production. Des transferts de certains employés spécialisés seraient à anticiper et une augmentation des formations de d’autres personnels seront à prévoir pour gagner en polyvalence. Les procédures informatisées et les formations seront donc indispensables pour effectuer cette transition. Cependant, les fournisseurs de composants devront en priorité fournir l’industrie de défense au détriment des industries civiles ce qui pénaliserait la consommation privée.

drone et avion
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Un rapprochement entre industriels européens

Le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré devant les cadres de l’armée allemande que le problème le plus urgent en Europe est peut-être le nombre totalement inextricable de systèmes d'armes et d'équipements militaires ainsi que la concurrence entre les différentes entreprises d’armement ». « Seule une augmentation coordonnée des capacités européennes permettra à l'Europe d'agir »

Des rapprochements entre entreprises de défense européenne vont donc certainement avoir lieu comme ce fut le cas pour l’industrie automobile. En effet, actuellement l'Europe compte plus de constructeurs de véhicules blindés que de constructeurs automobiles : KMW et RheinMetall en Allemagne, Nexter et Arquus en France, Iveco Defence Vehicles et Leonardo en Italie, les Américains et britanniques General Dynamics et BAE Systems dans plusieurs pays de l'Union, mais aussi Patria en Finlande, Saab en Suède, Kongsberg en Norvège, Tatra en République tchèque, Konstrukta côté slovaque, Romarm en Roumanie, bumar-łabędy en Pologne etc.

Néanmoins, l’armement est un secteur beaucoup plus stratégique que l’automobile et ses rapprochements, s’ils se font, seront très cadrés par les états.

Une mutualisation complexe des achats d’équipement

Enfin, l’Union Européenne va certainement tenter de mutualiser les achats d’équipement militaire européen, ce qui est loin d’être acquis comme le montre le récent achat d’avions américains par l’Allemagne, à court terme certains pays préférant prendre du matériel américain au détriment du matériel européen pour s’assurer du parapluie américain. Il est difficile de dire si sur le long terme, cela sera toujours le cas. Une réussite dans ce domaine permettrait cependant de participer à la réindustrialisation de la France.

Une guerre des contrats en parallèle d’une guerre sur le terrain

Cette situation est un nouvel avertissement à l’Union Européenne qui n’a pas prévu un arsenal juridique lui permettant de conserver une souveraineté industrielle. Or en coulisse une autre « guerre » se déroule pour les contrats d’armement entre Européens et Américains notamment. La France doit faire comprendre à ses partenaires que l’Union Européenne ne peut pas non plus être dépendante des Etats Unis et doit accélérer ses projets pour avoir une industrie puissante et protégée afin d’être indépendante dans ses choix stratégiques.

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Patrick ASTIER
Partner - Directeur de l'Offre Industrie

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Auteur vincent lesbaudy
Vincent LESBAUDY
Consultant expert