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Aéronautique : Comac peut-il briser le duopole Airbus-Boeing ?

12 juin 2025
Industrie

Le constructeur chinois Comac s'impose progressivement sur le marché des avions commerciaux avec son monocouloir C919. Si Airbus et Boeing dominent encore largement, l'émergence de Comac laisse entrevoir, à moyen terme, une évolution de l'équilibre mondial. Entre ambition industrielle, souveraineté technologique et stratégie géopolitique, les cartes sont en train d'être redistribuées. 

Un duopole en crise : Airbus et Boeing fragilisés

Depuis plusieurs décennies, l'européen Airbus et l'américain Boeing se partagent presque exclusivement le marché mondial des avions civils moyen-courriers. Cependant, le contraste entre les deux géants s'est accentué en 2025.

Boeing affaibli par des crises internes

En grande difficulté, Boeing subit de plein fouet les conséquences de ses problèmes de qualité. Plafonnée par la FAA (régulateur américain), la production du 737 MAX a drastiquement chuté, portant le total des livraisons à seulement 131 appareils en 2025. L'avionneur américain a enregistré une perte colossale de 11,8 milliards de dollars en 2024, dont près de 8 milliards pour sa division aviation commerciale. Boeing est aujourd'hui davantage concentré sur la résolution de ses crises internes que sur la compétition frontale avec Airbus.

Airbus : Chiffres records mais production sous tension

Depuis le début de l’année 2025, Airbus a maintenu une cadence solide avec 243 appareils livrés fin mai 2025. Bien que mieux positionné, le constructeur européen peine à maintenir ses cadences de production en raison des tensions sur sa chaîne d'approvisionnement – les retards de livraison des moteurs LEAP de CFM immobilisent 40 avions – alors que son carnet de commandes atteint un niveau record, avec plus de 8 600 avions à livrer, soit près d'une décennie de production. Néanmoins, Airbus a signé près des deux tiers des ventes mondiales d'avions commerciaux en 2024, un chiffre bien supérieur au partage habituel du marché à parts égales entre les deux constructeurs.

Comac : l’ambition chinoise dans l’aéronautique

Avec son C919, l'avionneur chinois Comac veut s'imposer comme un acteur de premier plan. Certifié en Chine fin 2023, l'appareil compte déjà une vingtaine d'exemplaires livrés en 2025.

Une stratégie de prix agressive

Avec un prix catalogue situé entre 90 et 100 millions de dollars, le C919 se positionne légèrement en dessous de ses concurrents directs (A320neo – 111 M$, 737 MAX 8 – 121 M$). La stratégie de prix agressive de Comac, bien connue des acteurs chinois, pourrait lui permettre de rapidement gagner des parts de marché à l'international.

Des résultats déjà significatifs

Avec 300 commandes de son modèle C919 en 2024, Comac a réussi à capter près d'un quart des commandes d'avions de plus de 150 sièges en Chine, un exploit sans précédent pour un nouvel acteur. Bien que Comac ne représente pas une menace immédiate pour le duopole Airbus-Boeing, les deux géants perdent du terrain face à ce nouvel acteur, notamment sur les marchés asiatiques.

Les enjeux technologiques, réglementaires et commerciaux

Une dépendance aux fournisseurs occidentaux

Soutenu par l'État chinois, Comac inscrit son développement dans une stratégie industrielle nationale. Mais l'entreprise reste encore largement dépendante de technologies occidentales. Près de 40 % de la valeur de l'appareil repose sur des fournisseurs étrangers : moteurs LEAP-1C fournis par CFM (coentreprise Safran–GE), avionique Thales, commandes de vol Moog ou Honeywell. Cette dépendance est déjà un point de tension avec le blocus des moteurs imposé par les États-Unis. Comme le souligne un expert du secteur : "Tant que la Chine n'aura pas les ressources nécessaires pour produire ses propres innovations, elle ne parviendra pas à rattraper les deux leaders mondiaux".

Le défi de la certification internationale

Outre le blocus sur ses moteurs, l'autre frein majeur au développement global du C919 reste l'absence de certification en dehors de la Chine. Aucune démarche n'a été entreprise auprès de la FAA américaine, quant à la certification européenne, l'EASA estime qu'elle ne sera pas accordée avant 2031. En clair, tant que le C919 ne franchit pas ce cap, il restera cantonné aux zones proches de l'influence chinoise.

Un marché domestique porteur

En 2024, la Chine affiche une augmentation de 38% par rapport à 2019, avec une prévision de 800 millions de passagers pour 2025. Ce marché intérieur constitue déjà un débouché considérable pour Comac, lui offrant une base solide avant de s'attaquer aux marchés internationaux.

L'Europe entre risques et opportunités

L'essor de Comac place l'industrie aéronautique européenne dans une situation délicate.

Le pari chinois d'Airbus

D'un côté, les ventes d’Airbus sont directement menacées, le C919 se plaçant sur le même segment que l'A320neo, principal moteur de croissance du groupe. Mais le constructeur a déjà adopté une stratégie d'implantation profonde, avec sa chaîne d'assemblage final à Tianjin qui produit des A320 depuis 2008. L'avionneur a même récemment annoncé la construction d'une seconde ligne pour doubler sa capacité. Cette politique est d'autant plus payante que le blocus américain sur Comac et les difficultés de Boeing lui laissent le champ libre en Chine.

Au cœur des programmes chinois

Safran et Thales ont également établi une présence industrielle significative en Chine. Safran dispose de plusieurs usines à Suzhou et emploie 870 personnes dans le pays, tandis que Thales a noué des partenariats stratégiques avec AVIC. Cette implantation leur permet de soutenir directement le programme C919 tout en bénéficiant du marché chinois en pleine expansion.

Les équipementiers européens fournissent également des composants essentiels au programme chinois. Pour ces équipementiers, le C919 représente une véritable opportunité commerciale. Cette collaboration s'inscrit dans une stratégie d'implantation à long terme sur le marché chinois, qui devrait devenir le premier marché mondial aérien devant les États-Unis. Toutefois, cette collaboration est aujourd'hui la première victime du blocus américain, qui a précisément gelé la livraison de ces composants stratégiques.

Le dilemme du transfert de technologie

Ces nombreux partenariats posent néanmoins une question sensible : en transférant leurs technologies vers le C919, ces fournisseurs ne facilitent-ils pas l'émergence d'un concurrent ? À mesure que la Chine absorbe les savoir-faire occidentaux, elle renforce ses capacités d'innovation et son autonomie industrielle, ce qui pourrait lui permettre, à terme, de se passer de ces mêmes partenaires.

Vers une nouvelle géopolitique de l’aviation

La compétition ne se joue plus uniquement sur les performances des avions, mais aussi sur les normes, les alliances industrielles et les logiques politiques nationales.

Le pouvoir des normes et des certifications

Sur le plan réglementaire, l'Europe conserve un levier stratégique grâce à l'EASA, dont les standards font référence bien au-delà des frontières de l'UE. En plus de son autorité sur les pays européens, l'EASA influence de nombreux marchés tiers - en Afrique, en Amérique latine ou en Asie - où ses normes sont reprises, souvent du fait de la présence d'Airbus. Dans ces régions, la certification européenne reste un passage obligé pour les nouveaux entrants, mais si la Chine parvient à imposer ses propres standards dans ces zones, ce rôle de référence pourrait progressivement diminuer.

Un concurrent bon marché

L’avion chinois influence déjà les négociations commerciales, Michael O’Leary, PDG de Ryanair, a récemment déclaré qu'il serait prêt à annuler ses commandes auprès de Boeing et à se tourner vers Comac si ce dernier était suffisamment bon marché, proposant des tarifs de 10 à 20 % inférieurs à ceux d'Airbus (le moins cher actuellement). Comac affiche clairement ses ambitions en préparant le lancement du C929 sur le segment des long-courriers, tout en développant le C909 pour renforcer sa présence sur les liaisons intérieures à fort trafic.

Le précédent de l’automobile chinoise

La situation n'est pas sans rappeler ce qui s'est passé sur le marché automobile au début des années 2000. Après avoir absorbé des technologies occidentales et développé ses capacités industrielles, la Chine a progressivement exporté ses propres véhicules, passant en quelques décennies du statut d'assembleur à celui de concurrent innovant. Si les cycles de développement sont plus longs dans l'aéronautique, la trajectoire pourrait être similaire : une montée en puissance progressive, du moyen-courrier au long-courrier, puis vers une autonomie technologique complète.
 

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Patrick ASTIER
Partner - Directeur de l'Offre Industrie

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Auteur Alexandre Martin
Alexandre Martin
Consultant