Décarbonation industrielle : pourquoi l’IA change la donne

En février dernier, Paris a accueilli et animé le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle afin de renforcer l’action internationale en faveur d’une intelligence artificielle (IA) au service de l’intérêt général. L'un des objectifs majeurs est de faire de l'IA un outil sobre, durable et au service des enjeux environnementaux.
Concrètement, comment est-ce que l’IA peut être un catalyseur de la décarbonation, plus particulièrement dans l’industrie ?
Un cadre réglementaire incitatif, mais une adoption encore à concrétiser
L’intelligence artificielle bénéficie aujourd’hui d’un soutien politique et économique fort, en particulier au niveau européen. L’Union européenne, dans le cadre du Pacte vert et du plan climat « Fit for 55 », a mis en place des dispositifs ambitieux pour encourager les innovations technologiques en faveur de la transition écologique. Lors du sommet pour l’IA organisé à Paris, Ursula von der Leyen a annoncé le plan InvestAI, mobilisant 200 milliards d’euros, dont 20 milliards pour les gigafactories, afin de soutenir le développement d’une IA stratégique et durable. La France s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Elle porte depuis plusieurs années une stratégie nationale IA, renforcée récemment par plus de 100 milliards d’euros d’investissements privés annoncés en 2025, avec une attention portée à l’usage d’énergies décarbonées dans les infrastructures.
Pourtant, malgré ces engagements et ce cadre incitatif, l’adoption de l’IA reste encore limitée dans les usages industriels. Selon le rapport « Unlocking Europe’s AI Potential 2025 » publié par Amazon Web Services, 53 % des grandes entreprises européennes déclarent utiliser l’IA, mais seulement 3 % l’ont réellement intégrée dans leurs processus opérationnels. Un décalage qui souligne la difficulté à passer de l’expérimentation à la transformation structurelle.
Par ailleurs, au-delà des freins à l’adoption, le caractère énergivore de l’IA soulève une inquiétude croissante. Le développement rapide de ces technologies entraîne une augmentation significative de la consommation énergétique, notamment dans les centres de données. Consciente de ces enjeux, la France a porté, à travers le Forum pour l’IA durable, une proposition de norme européenne visant à encadrer l’empreinte environnementale de l’IA. L’objectif : garantir une IA à la fois efficace et compatible avec les objectifs climatiques.
Malgré une adoption encore partielle, plusieurs applications montrent déjà comment l’IA peut contribuer à la réduction des émissions dans l’industrie.
L’IA, un levier pour décarboner chaque étape du cycle de vie industriel
Si l’intégration de l’IA reste encore marginale, son potentiel pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie est déjà tangible. De l’optimisation des matières premières à la valorisation des déchets, en passant par la réduction des consommations énergétiques, l’IA peut contribuer à décarboner efficacement chaque maillon de la chaîne industrielle.
En amont de la production industrielle, l'IA optimise l'usage des matières premières et permet d’anticiper les besoins. L’IA générative s’applique directement dans les prévisions de ventes et la planification de la production. Elle permet également d'optimiser le sourcing en privilégiant des matériaux bas-carbone et des circuits courts. Jusqu’au cœur des lignes de production, l’IA peut permettre d’optimiser les processus. Par exemple, chez l'Oréal, un système de Computer Vision détecte d'éventuels défauts de bouteilles de shampoing ou de lotion pour le corps en début de ligne de production, et donc avant leur remplissage, permettant de limiter le gaspillage.
L'IA contribue à réduire la consommation énergétique tout au long du cycle de vie industriel. Par exemple, au-delà de la perte de productivité, un appareil productif qui dysfonctionne peut entraîner une forte surconsommation énergétique. Grâce à la maintenance prédictive, l’IA améliore l’efficacité énergétique en garantissant un fonctionnement optimal des équipements par l'observation des modèles de vibration, des niveaux de bruit, des variations de température notamment.
Ainsi, Schneider Electric utilise l’IA pour améliorer l’efficacité énergétique de ses bâtiments, notamment via l’optimisation des systèmes de chauffage et de climatisation.
En fin de vie des produits, l’IA facilite le recyclage et l’économie circulaire en identifiant les opportunités de réutilisation des matériaux. C’est ce que souligne Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’Institut National de l'Économie Circulaire (INEC), dans un article de Bpifrance : « Les données sont essentielles pour comprendre les flux de matières et identifier les opportunités de réutilisation, de recyclage, et de réduction des déchets. L'IA, en traitant ces données de manière intelligente, peut accélérer cette transition vers un modèle industriel circulaire »
Enfin, l’IA est un levier rapide et accessible. Contrairement aux infrastructures bas carbone lourdes qui nécessitent des processus administratifs longs et des financements conséquents, l’IA se déploie rapidement et avec un coût moindre. Ses effets sont mesurables à court terme, avec une optimisation continue des ressources et des émissions.
Par exemple, Google a utilisé l’IA pour prédire les traînées de condensation des avions, permettant aux pilotes d’adapter leur trajectoire et de réduire ces émissions de 54 %, un levier prometteur pour la décarbonation du transport aérien.
Un impact énergétique à maîtriser, mais que l’IA peut aussi équilibrer
Une limite de la décarbonation par l’IA est identifiée par le paradoxe de Jevons, aussi connu sous le nom d’« effet rebond ». Selon ce paradoxe, une meilleure efficacité du processus de production réduit le coût marginal du produit et augmente donc sa demande. Ainsi, les économies unitaires réalisées sont compensées par une augmentation de la production.
Par ailleurs, l’usage de l’IA n’est pas sans incidence sur l’environnement : les émissions de gaz à effet de serre de Google ont augmenté de 8% en 2023 par rapport à 2019 principalement à cause des data centers dédiés à l’intelligence artificielle. « Nous avons besoin d’énergie pour l’IA et de l’IA pour notre énergie » a partagé Eric Schmidt, ancien PDG de Google dans une tribune publiée par le journal Le Monde. Cet arbitrage énergétique est modéré par le fait que l’IA elle-même peut intervenir comme un outil d’arbitrage pour optimiser en temps réel la consommation d’énergie et éviter les conflits d’usage à l’échelle d’un réseau électrique. À plus petite échelle, au sein même des data centers, l’IA peut être déployée pour améliorer l’efficacité des infrastructures numériques avec des solutions comme le refroidissement intelligent et l’ajustement dynamique des serveurs. Ces innovations rappellent que l’IA, si elle est déployée avec discernement et sobriété, peut devenir un catalyseur essentiel de la transformation écologique des systèmes industriels.
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