Nouvelle chronologie des médias : des changements mais pas de bouleversements
Pour l’industrie du cinéma en France, l’année 2022 a débuté par l’aboutissement de longs mois de négociation, avec la signature le 24 janvier d’une cinquième version de la chronologie des médias, effective jusqu’en 2024.
Pour rappel, ce terme fait référence à l’organisation de l’exploitation des films de cinéma dans le temps et en fonction des supports de diffusion. Ce modèle vise à protéger l’exploitation en salle et à favoriser les acteurs qui financent le mieux la production cinématographique française (notamment Canal+). Chaque révision, rendue indispensable par les évolutions très rapides du marché, doit moderniser le système sans remettre en cause ses fondements. Ce qui est loin d’être facile, au vu de la multiplicité des parties prenantes!
Comment les rapports de forces ont-ils évolué depuis le précédent accord de 2018?
Les principales modifications apportées par cette nouvelle mouture
Ces trois dernières années ont été marquées par le développement des plateformes de SVoD, qui s’est même accéléré avec la crise sanitaire. D’autre part, en échange de l’imposition d’obligations d’investissement dans la production cinématographique, la puissance publique avait promis à ces services qu’ils bénéficieraient d’une meilleure place dans la chronologie. Tout l’enjeu était donc de bâtir un accord ménageant la chèvre Canal+ et le chou Netflix ; sans oublier les intérêts des autres parties prenantes, notamment les TV gratuites qui investissent, elles-aussi, de façon substantielle dans la production française.
Canal+ peut finalement être considéré comme le grand gagnant de ce nouvel accord car le groupe est parvenu à maintenir sa position privilégiée tout en améliorant ses acquis. Désormais, sa fenêtre de diffusion s’ouvre 6 mois après la sortie du film en salle (contre 8 auparavant), avec 9 mois minimum d’exclusivité. Cela permet à Canal+ de se distinguer des services de SVoD et de justifier ses prix auprès de ses abonnés. Le groupe s’est toutefois donné les moyens de tenir ses concurrents à distance. Ces dispositions ont en effet été négociées dans le cadre d’un accord signé en décembre 2021 avec les professionnels du cinéma, qui prévoit notamment une augmentation de l’investissement dans une centaine de films préfinancés et diffusés sur Canal+ et Ciné+ (190M€/an de 2022 à 2024 contre 160M€ auparavant). Par ailleurs, OCS a également renouvelé son accord avec les organisations professionnelles et occupera donc toujours la même fenêtre que Canal+.
Face à ces acteurs "historiques", la place des services de SVoD est néanmoins renforcée par rapport à l'ancienne chronologie. Netflix, leader sur le marché français, voit ainsi sa fenêtre s’ouvrir au 15ème mois plutôt qu’au 36ème, 2 mois avant les autres services de SVoD. Netflix est en effet le seul à s’être engagé à produire au moins 10 films par an et à investir en moyenne 40M€, dont une partie fléchée vers des films à budget modeste.
Une nouvelle chronologie qui ne fait pas que des gagnants
Dans ce nouveau cadre, les chaînes de TV gratuites sont désormais dépassées par les plateformes de SVoD. Leur fenêtre de diffusion reste positionnée au 22ème mois, ce qui était déjà le cas avec le précédent accord pour les chaînes investissant à minima 3,2 % de leur CA dans le financement d'œuvres européennes. Elles bénéficient toutefois d’une période d’exclusivité jusqu’au 36ème mois. Autrement dit, un film devra être retiré des plateformes de streaming lors de son exploitation par la TV en clair, sauf si un accord de coexploitation est conclu avec un service de SVoD. Garantir cette exclusivité demeure pour la TV gratuite un moyen de proposer une offre de cinéma attractive, en linéaire comme sur leurs services de rattrapage.
D'autre part, contrairement à Netflix qui semble décidé à se montrer conciliant, Amazon Prime Video, Disney+ et Apple TV+ ont décidé de ne pas signer ce nouvel accord car ils jugent l’avancée de leur fenêtre insuffisante. 17 mois peuvent en effet paraître bien long, comparés aux 45 jours d’exclusivité en salle devenus largement la norme aux Etats-Unis avec la pandémie. Signataires ou pas, ils devront respecter les nouvelles règles… ou bien les contourner, en sortant directement leurs films sur leurs plateformes. Cette menace, déjà brandie par Disney, serait dommageable pour le cinéma français. On gardera toutefois à l’esprit qu’il reste plus difficile de rentabiliser un blockbuster en se passant d’exploitation en salle.
Ces changements seront-ils suffisants pour pérenniser le financement et la diversité de la production cinématographique française tout en répondant davantage aux usages des consommateurs ? On peut l’espérer. Mais quoi qu’il en soit, une prochaine révision de la chronologie sera indispensable pour s’adapter à un marché perpétuellement confronté à de nouveaux enjeux tels que le ralentissement de la croissance de Netflix, l’arrivée en France de nouveaux services comme HBOMax ou encore le retour du public dans les salles une fois la crise belle et bien terminée.
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