Le journalisme à l'ère du numérique

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quels sont les principaux impacts des nouveaux médias sur les métiers de l’information ? Et quels sont les principaux challenges auxquels les journalistes font face ?

L’émergence d’un nouvel écosystème des médias

Comme dans tout marché soumis à la loi de l’offre et de la demande, l’industrie de l’information a été essentiellement impactée par l’évolution des usages et des habitudes de consommation.

Vers le  « Web First » et le « Mobile First »

Depuis quelques années, l’accès à l’information sur internet et via les smartphones est en croissance stable en France, reléguant la presse écrite au quatrième et dernier rang. Selon le dernier « Digital News report France » publié en 2019, 69% des accès à l’information se fait sur des sites d’information en ligne, dont 42% sur les réseaux sociaux, tandis que 59% de ces accès se font via un smartphone.

Des chiffres que l’on peut supposer en hausse et ce au niveau mondial au vue des deux dernières années Covid, et des confinements successifs.                

De la découverte directe à la découverte indirecte

L’accès à l’information sur Internet est par ailleurs de plus en plus fragmenté.

Plutôt que de s’informer en consultant directement les sites internet mis à leur disposition par les médias d’information, les infonautes s’informent au fil des alertes reçues et des recommandations algorithmiques sur les réseaux sociaux ou en consultant des sites d’agrégation de contenus comme Google Actualités. Ces plateformes de désintermédiation gagnent par conséquent une place de plus en plus significative dans l’écosystème médiatique, en exerçant un pouvoir de prescription sans précédent sur ses utilisateurs. Rappelons l’influence de Facebook ou de Twitter sur les deux précédentes élections présidentielles américaines.

Un nouveau rapport à la production de l’information

“J’appelle journalisme tout ce qui aura moins de valeur demain qu’aujourd’hui” disait André Gide il y’a plus d’un siècle de cela. A l’heure du numérique, il est à noter que l’unité de compte n’est plus au jour (d’où l’appellation de jour-naliste), mais à la minute voire à la seconde. Le temps de l’information n’est par ailleurs plus imposé par les médias car «Les infos du jour » de France Inter sont désormais accessibles en Replay sur Spotify ou le JT de TF1 sur l’application MyTF1.

Ce nouveau rapport au temps a eu également pour effet de transformer la manière dont l’information est conçue et produite. En effet, certaines rédactions ont dû repenser leur offre et proposer de nouveaux formats, plus riches (plus multimédia) mais surtout plus long. Le dossier thématique vient dès lors complémenter l’actualité des faits immédiats.

Les défis et perspectives pour ce nouvel écosystème

Le journaliste 2.0, entre polyvalence et individualisation

Afin de répondre aux exigences de ces mutations et satisfaire les nouvelles attentes de ses lecteurs, le journaliste du web endosse désormais bien plus de rôles qu’il n’en avait l’habitude. Bien que les fondements du métier de journaliste restent les mêmes, le web journaliste doit être capable de maîtriser les différentes écritures journalistiques (photo, vidéo, data visualisation,…) et de penser leur complémentarité, car effectivement « Le médium est le message » (M.McLuhan).

Par ailleurs, les rédactions étant de moins en moins rémunératrices, certains journalistes se saisissent des opportunités qu’offrent le Web afin de développer leur indépendance et leur propre notoriété. C’est le cas d’Anas Daif (@jnounaliste, 24,4K abonnés sur Instagram) qui propose des analyses thématiques denses et « sourcées » à une fréquence plus lente, ou comme Hugo Travers (@hugodecrypte, 1.4 Million d’abonnés sur Instagram) qui résume les actualités quotidiennes à retenir.

Les fondements du journalisme mis à l’épreuve

« Vérifier, recouper et hiérarchiser », telles sont les règles fondatrices d’une information crédible.

Mais l’accélération du tempo de l’information interroge à nouveau sur le respect de la déontologie dans le traitement de l’information. A la manière du scoop, la course à la primauté de l’information n’accorde parfois pas suffisamment de temps à la vérification. Les journalistes font d’ailleurs face à une nouvelle concurrence ressentie de citoyens qui mettent à l’épreuve certaines publications, notamment sur leur fil Twitter.

Par ailleurs, le succès de chaînes gratuites d’opinion tel que CNews en France illustre la crise de confiance envers la parole journalistique. A l’heure des « Fake news », l’implication de toutes les parties prenantes est essentielle. Cela passe par une régulation des plateformes numériques par les gouvernements, une modération plus efficace des réseaux sociaux via des algorithmes plus vertueux et moins axés sur les préférences, et enfin une participation de la société civile notamment via la mise en place d’instruments permettant à cette dernière d’évaluer la fiabilité des contenus (e.g Décodex l’extension Chrome et Firefox développé par « Le Monde » indique en temps réel la fiabilité du site sur lequel se trouve l’utilisateur).

En résumé, « Rien n’est permanent sauf le changement ». Ces mots que l’on prête à Héraclite indiquent bien que le changement est inhérent quel que soit l’organisme concerné. Dans notre société contemporaine, l’écosystème des médias fait partie de ces organismes vivants, et dynamiques qui ne cesseront d’évoluer au gré des évolutions technologiques. Néanmoins, l’enjeu est de taille, car il s’agit de préserver la force de nos démocraties, et il est d’autant plus fondamental que chaque individu puisse jouer son rôle et contribuer à la préservation de nos libertés individuelles et collectives.