Industrie Auto : Résilience et Compétitivité face à la Chine
Il y a trente ans, le retard technologique de la Chine dans l'automobile était frappant. Aujourd'hui, le scénario a basculé : les constructeurs chinois affichent une avance stratégique considérable, propulsés par leur maîtrise de l'électrique.
En un an, leur part de marché en Europe a presque doublé (5%, et près de 10% sur le VE). L'arrivée de géants comme BYD et Nio ébranle les acteurs historiques, dont les ventes globales ont chuté de 22% depuis 2019. Face à ce raz-de-marée, la question est vitale : le déclin de l'automobile européenne est-il inéluctable ?
Les racines de la domination : une stratégie de "l'amont à l'aval"
L'avance chinoise est d'abord une mainmise sur l'amont de la production. La Chine contrôle une part écrasante du raffinage et du traitement des terres rares et autres matériaux critiques (nickel, cobalt, graphite, etc.). Récemment, Pékin a rappelé cette domination en annonçant des restrictions d'exportation sur certains matériaux nécessaires à l'industrie, intensifiant la pression. Cette maîtrise est à la racine de leur domination dans le secteur de la batterie électrique : 70% des capacités de production mondiales batteries de véhicules électriques sont possédées par la Chine. Pendant ce temps, les projets européens de "Gigafactoriessont encore en phase de rattrapage, tributaires de technologies et d'approvisionnements extérieurs et plombés par un retard considérable sur la maîtrise des processus industriels complexes bloquant la montée en cadence de la production.
En second lieu, les constructeurs chinois proposent des voitures à un prix très compétitif. Cela s’explique d’abord par un soutien étatique important. Le développement des acteurs chinois a été massivement soutenu par l'État via d'importantes subventions et des programmes d'aide aux consommateurs (prime à la casse) sur le marché national, créant un environnement de croissance inégalé. Leur capacité à proposer des modèles électriques abordables est un atout décisif. L'Europe peine à produire des citadines électriques sous la barre des 25 000€, un segment où les constructeurs chinois sont déjà très compétitifs. Cet avantage découle d'un coût de la main d'œuvre plus faible et d'une intégration verticale poussée qui diminue les coûts de production de la batterie (la composante la plus coûteuse du VE).
Le dilemme européen : Protectionnisme ou course à l'innovation ?
Le secteur automobile est un moteur historique de l'économie continentale. Les institutions politiques européennes ont sonné l'alarme et envisagent plusieurs mesures protectionnistes visant à protéger ses industriels. L'Union européenne a notamment lancé une enquête sur les subventions accordées par Pékin à ses constructeurs, visant à établir si elles constituent une concurrence déloyale. Cette démarche pourrait aboutir à l'instauration de droits de douane compensatoires (actuellement, les VE chinois sont taxés à 10%).
Enfin, une question est sur toutes les lèvres : faut-il maintenir l’objectif de la fin des moteurs thermiques en 2035 ?
Certains, menés par l'Allemagne, plaident pour une flexibilisation ou un décalage de cette échéance avec pour idée de donner aux constructeurs européens le temps nécessaire pour acquérir le savoir-faire industriel dans les batteries et les plateformes électriques, sans sacrifier l'intégralité de leurs marges actuelles. La France, en revanche, a jusque-là plaidé pour un maintien de cet objectif au regard de l’urgence climatique, mais a finalement ouvert la porte à quelques “flexibilités” devant l’insistance de ses partenaires et des industriels.
Les clés de la riposte : Tech, Alliance et Écosystème
Pour assurer la survie du secteur, il apparaît crucial que les acteurs européens continuent d’innover pour s’affranchir de l’Asie, en commençant par la production des batteries. Le processus de production est complexe et prend des années à maîtriser, l'Europe doit donc y concentrer ses forces et accélérer le développement de ses propres Gigafactories afin d’optimiser les coûts et la performance (densité énergétique, rapidité de charge). Pour s’affranchir des terres rares, le développement d'une batterie "Made in Europe" et "sans terres rares" semble être une solution pertinente à explorer. Des pionniers comme Renault (qui a collaboré avec Valeo) travaillent sur des moteurs moins dépendants des aimants permanents à base de métaux rares.
L'avenir de l'automobile européenne ne se joue plus uniquement sur le continent, mais bel et bien au sein de l'Empire du Milieu. Avec 1,4 milliard d'habitants, le marché chinois est le plus important au monde, représentant 30% des ventes mondiales et conserve un potentiel immense. Afin d’y être pertinent, les constructeurs européens doivent y rester compétitifs. Là encore, il est impératif de proposer des modèles électriques innovants et à bas prix, en effet plus de 50% des voitures vendues en Chine en juillet 2025 étaient électriques ou hybrides. Pour se faire, de grands groupes européens, comme Stellantis avec Leapmotor ou Renault avec Geely, s’allient aux industriels chinois dans l’objectif de réduire leur coût et de capter leur savoir-faire et ce au risque de délaisser leurs partenaires européens historiques.
En effet, il semble bon de rappeler que l'enjeu dépasse le simple sort des constructeurs. Il s'agit de préserver l'ensemble de l'écosystème industriel à commencer par les équipementiers, principaux sous-traitants. Les équipementiers européens (Bosch, Valeo, Forvia) souffrent déjà du ralentissement. Leur situation empirera si les constructeurs européens choisissent la délocalisation du "sourcing" vers la Chine pour réduire leurs coûts, comme Renault l'a déjà partiellement annoncé. Si le constructeur français affirme sa volonté de garder un ancrage européen fort, la menace d'une désintégration progressive de la chaîne de valeur européenne est réelle. Pour ces équipementiers , l’objectif sera d’offrir de nouveaux produits, boostés par la transformation numérique et les nouveaux besoins des consommateurs qui souhaitent toujours plus de connectivité et une expérience utilisateur améliorée. L’Europe doit faire la différence et faire de la voiture de demain un smartphone sur roues.
Conclusion
Pour l’Europe, le choix est clair : réussir la transition vers l’électrique ou devenir un simple marché d’importation. La domination chinoise est structurelle et le protectionnisme économique ne fera que retarder l’échéance tout en démarrant une probable guerre économique rendant l’accès au plus gros marché mondial difficile pour nos industriels.
La survie de l’automobile européenne réside donc dans une double approche : une accélération de l'innovation pour concevoir des technologies de rupture (batteries "sans terres rares", e-fuels) et une diversification stratégique de la chaîne d'approvisionnement des matériaux critiques, via des partenariats robustes en Amérique du Sud, en Afrique ou en Australie. Seule cette stratégie combinant compétitivité locale et résilience globale permettra de préserver notre savoir-faire industriel et les 2,5 millions d’emplois dédiés à la construction automobile en Europe.
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