IA dans les médias : où en est la loi ?
L'essor croissant des outils d'intelligence artificielle suscite de plus en plus de préoccupations liées aux droits de propriété intellectuelle et à la désinformation. Depuis plusieurs mois, de nombreux médias français et étrangers dénoncent l’instrumentalisation dont ils font l’objet et réclament l’instauration d’un cadre juridique contre les dérives de l’IA. Régulations, lois, accords… où en est-on aujourd’hui ?
L’appel à l’aide des médias pour une IA plus réglementée
Au milieu de l'effervescence des systèmes génératifs, plusieurs médias français ont récemment pris des mesures pour s'opposer au manque de réglementation entourant ces nouveaux acteurs.
C'est le cas de Radio France, qui a annoncé durant l'été avoir restreint l'accès à son contenu au robot crawler GPTbot, appartenant à OpenAI, société mère de ChatGPT. La dirigeante de Radio France, Sibyle Veil, a clairement exprimé son désaccord concernant “le pillage” non autorisé des contenus de la chaîne par ce robot conçu pour collecter des données à partir de l'ensemble d’Internet.
D'autres initiatives ont également vu le jour, attirant l'attention sur l'urgence de mettre en place une législation. Dans une lettre ouverte publiée en août dernier, dix organisations de presse de renom à l'échelle internationale, dont l'Agence France-Presse et l'Associated Press, ont plaidé en faveur d’une régulation face aux possibles dérives des systèmes d'IA.
Loin de nier les avantages offerts par ces nouveaux modèles génératifs, les signataires alertent notamment sur les risques d’érosion de la confiance du public dans l'indépendance et la qualité des contenus et s’inquiètent de la viabilité financière de leurs créateurs. Parmi les craintes évoquées, le fait que ces applications d'IA générative produisent des inexactitudes factuelles et diffusent des informations fictives, ainsi que des préjugés, et ce même en l'absence d'une intention malveillante.
Cette préoccupation est d'autant plus significative étant donné que la confiance du public dans les médias est actuellement fragile, notamment en ligne ; seulement 33 % des Français interrogés lors de l'édition 2023 du baromètre mené par Kantar Public pour La Croix ont confiance dans les médias en ligne.
Depuis l'introduction de la presse papier jusqu'à l’arrivée d’Internet, puis des médias sociaux, l’industrie des médias s’est pourtant toujours adaptée avec succès aux nouvelles technologies. Néanmoins, le rythme de développement et d'adoption de l'IA dépasse de loin celui des sauts technologiques précédents, et ce, comme le soulignent les signataires, “au détriment potentiel des droits de propriété intellectuelle de longue date, ainsi que des investissements des créateurs dans des contenus médiatiques de haute qualité.”
L’IA Act : vers plus d’encadrement au niveau européen
L'AI Act, ou "Artificial Intelligence Act" en anglais, est une proposition législative de l'Union européenne qui vise à réglementer l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) dans l'UE. Ce projet a été validé par le Parlement européen le 14 juin 2023. Son adoption est programmée pour la fin de l’année, avec une période d'application différée de 18 à 24 mois après son entrée en vigueur.
L'AI Act prévoit entre autres d'exiger des plateformes d'IA spécifiquement conçues pour générer du contenu complexe (texte, images, vidéos…) qu'elles fournissent à leurs utilisateurs “un résumé suffisamment détaillé" de l'utilisation des données d'entraînement protégées par le droit d'auteur. Une autre mesure importante concerne la citation des sources, qui n’est aujourd’hui pas obligatoire pour les systèmes d’IA et pour laquelle une transparence accrue sera exigée.
Le défi des modèles financiers…
Les discussions actuelles portent sur l'élaboration d'un modèle tarifaire pour les contenus d'actualité utilisés comme données d'entraînement pour les modèles d'IA. L’enjeu est double : trouver des solutions viables qui concilient l'utilisation de l'IA pour stimuler l'innovation tout en garantissant une juste rétribution financière entre chaque acteur. Louis Dreyfus, président du directoire du Monde, a récemment rappelé la nécessité d’une rétribution équitable pour les entreprises qui exploitent les contenus du journal.
Il n’existe aujourd’hui aucun accord concret entre les médias et les entreprises spécialisées en IA. Aux Etats-Unis, des rencontres entre de grands journaux comme le Financial Times ou le Guardian ont eu lieu avec OpenAI ou encore Google. Parmi les idées évoquées, celle d'un "contrat de licence" pour rémunérer les contenus utilisés pour l'entraînement des IA pourrait être envisagée.
...et des droits voisins
Le cadre légal pour les revendications des médias dans le domaine de l'IA est moins favorable que celui des droits voisins. Ces derniers, instaurés en 2019 par la directive européenne sur le droit d'auteur, permettent aux médias de demander une compensation à Google et Meta pour l’utilisation des articles qui alimentent les moteurs de recherche.
En pratique, lorsqu'une IA utilise une information provenant d'un média particulier, elle n'est pas tenue de l'attribuer au média en question. Tant que la citation des sources ne devient pas obligatoire, l'application des droits voisins reste donc complexe.
L’adoption de l’IA Act ou les futurs accords de compensation forfaitaire changeront-ils la donne ? Compte tenu du nombre croissant d'alertes émises en France et à l'étranger, il est fort probable que le cadre législatif régissant les systèmes d'IA se précise dans les mois à venir.
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