Enjeux logiciels dans les chaînes logistiques
Dans de récents articles pour The New Yorker et Logic, Miriam Posner, professeur à l’université de Californie à Los Angeles, revient sur les enjeux liés aux chaînes d’approvisionnement dans le monde. Elle explique comment, dans des espaces toujours plus mondialisés et hyper-connectés, il est devenu paradoxalement difficile de connaître l’exacte provenance de tous les composants d’un produit vendu.
Complexité d’une chaîne d’approvisionnement
Dans le cadre d’une industrie mondialisée, une chaîne logistique a une importance primordiale. En plus d’être un flux de marchandises, c’est un échange d’informations entre toutes les parties prenantes sur les conditions d'approvisionnement, de détention, de circulation et de mise à disposition des produits. La description d’une telle chaîne indique tout ce qui a été utilisé depuis la conception d’une marchandise jusqu'à sa livraison au client final : matières premières, ressources humaines utilisées (fournisseurs, entreposage, magasinage, transport, etc.), équipements de réalisation logistique (entrepôts, outillages, machines, manutention, etc.), fournitures (emballage, sources d'énergie et carburants, etc.), services (planification, export, douane, facturation, litiges, etc.).
Toutes ces informations sont transmises, et devraient logiquement amener une transparence totale pour les clients qui sont en fin de chaîne. Selon Miriam Posner, il s’avère au contraire que peu d’entreprises connaissent l’origine des produits qui leur parviennent.
Un fonctionnement modulaire pour une meilleure adaptation
Considérons une entreprise travaillant avec des ateliers similaires proches les uns des autres : en cas de défaillance de l’un d’eux, il peut être remplacé par n’importe quel autre, sous condition que le cahier des charges soit respecté. Chacun sait ce dont ont besoin ses voisins immédiats dans la chaîne, mais personne ne possède de vision détaillée sur l’ensemble du réseau logistique.
Cet aspect est renforcé par la digitalisation des chaînes logistiques : quand il fallait il y a encore quelques années se déplacer en Chine pour changer d’usine, il est désormais possible de le faire depuis l’Europe, grâce à la multiplication des intermédiaires. La gestion de la chaîne d’approvisionnement est devenue logicielle, et ceux qui utilisent ces logiciels peuvent ne plus voir les usines, les travailleurs ou les entrepôts.
SAP est l’un des logiciels phares de gestion d’une chaîne logistique. Une chaîne y est représentée comme un processus, découpée en autant de « composants » que nécessaires, pour toutes les transformations qui ont lieu. Les utilisateurs de cet ERP s’y spécialisent dans des tâches spécifiques : étude des ventes passées, planification du réseau logistique, planification de la production, etc. La confrontation à la réalité dans les unités de production (en Asie par exemple) est remplacée par des paramètres activables ou configurables, pour agir à distance sur la chaîne logistique, telle une « baguette magique ».
Cette modularité facilite l’adaptation rapide des chaînes de production, mais accentue l’effet « coup de fouet » : pour répondre vite aux demandes des consommateurs, les différents acteurs sont tentés soit de produire plus, soit de baisser les coûts de production pour augmenter la marge. Autrement dit, l’effet « coup de fouet » s’accompagne trop souvent d’une dégradation des conditions de travail, un impact difficilement quantifiable du côté du client final. China Labour Watch a publié un rapport récent, qui illustre cette problématique en prenant l'exemple du constat suivant : à Heyuan, en Chine, les travailleurs qui fabriquent une poupée Disney travaillent 26 jours par mois, pour une production quotidienne entre 1800 et 2500 poupées, tout en gagnant un centime pour chacune d’entre elles (poupée vendue au prix de 26,40 $). Ces révélations peuvent poser pourtant de véritables problèmes d’image aux entreprises clientes finales, comme cela a été le cas d’Apple récemment.
Comment améliorer la traçabilité de l’information ?
Des cabinets de conseil proposent aujourd’hui de cartographier des flux logistiques, pour en donner des visions d’ensemble (SourceMap par exemple). Dans la plupart des cas, les chaînes logistiques ne sont pas des processus simples à un seul embranchement, mais bien un système fluvial complet, avec beaucoup d’affluents en attente d’activation, représentant la modularité nécessaire à l’adaptation de la chaîne.
Pour répondre à ce besoin de meilleure connaissance du réseau logistique, plusieurs technologies innovantes sont envisagées. La combinaison de la blockchain (identifiant unique, journal des mouvements de la marchandise) et de l’internet des objets (localisation constante des produits fabriqués) est une solution puissante, qui peine néanmoins à gérer la transformation de plusieurs produits en un seul. De plus, ces technologies ne doivent pas s’attacher à seulement répertorier des prestataires sans documenter leurs pratiques humaines. Toute chaîne d’approvisionnement gagnerait en sécurité, efficience et vitesse à l’aide de ces technologies, mais cela ne semble pas suffisant pour en faire des réseaux logistiques socialement responsables.
L’autre technologie prometteuse est l’apprentissage automatique (machine learning), afin de choisir rapidement les chemins critiques les plus efficaces d’une chaîne logistique, selon les performances moyennes des entreprises productrices ou transporteuses des marchandises. Cette méthode repose à nouveau sur une documentation complète de tous les fournisseurs, et sur une alimentation en temps réel de données transverses (cours mondiaux des matières premières, coût du transport, actualité géopolitique). Mais comme précédemment, les aspects sociaux ne seront améliorés que si des informations à ce sujet sont intégrées et visibles dans les logiciels.
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