Contenu principal

La logistique urbaine du dernier kilomètre : un des piliers du développement urbain

Publié le
25 novembre 2020
Data & IA
Retail & Luxe

La gestion des flux de marchandises et de biens, ou logistique urbaine, a été profondément bouleversée par l’évolution des modes de consommation, avec en premier lieu l’essor du e-commerce.

Pour de nombreux français, commander sur internet et se faire livrer à domicile plutôt que de se déplacer en point de vente physique est devenu un réflexe. Un seul chiffre permet de mesurer l’ampleur prise par le e-commerce : 200 000 achats par internet sont livrés chaque jour dans la capitale, d’après les chiffres de l’Apur. Ce changement drastique a certes desimpacts positifs sur l’économie de manière générale, mais le trafic associé aux livraisons peut aussi rendre les centres urbains invivables : congestion routière, pollution, nuisances sonores. « La progression de la livraison, calée sur celle de l’e-commerce, n’a aucune raison de ralentir. Au contraire, la nouvelle génération d’acheteurs est née un smartphone à la main. » analyse David de Matteis (1). De plus, l’étalement urbain réduit l’efficacité de la livraison aux particuliers et aux entreprises, le dernier kilomètre, ce qui est problématique dans un contexte où les consommateurs veulent tout, tout de suite et que les leaders du e-commerce, Amazon Prime Now en tête, promettent des livraisons en quelques heures. Par ailleurs, les hypercentres accueillent la majorité des mouvements de marchandises, 80% des mouvements sont regroupés sur 20% du territoire urbain selon Sogaris. D’après Les Echos, les derniers chiffres du marché de la logistique urbaine sont éloquents : sur un total de 1,9Mds d’€ en 2018, 1,5 Md€ sont consacrés au dernier kilomètre (livraisons BtoC et CtoC, hors réassorts) en progression de 63% sur 5 ans, quand “seulement” 350M€ concernent le premier kilomètre (réassort de magasins physiques - B2B - et ship-from-store - livraison directement depuis un point de vente physique). Le reliquat est complété par les consignes intelligentes, un segment encore marginal.

L’espace urbain doit ainsi être réinvesti, or jusqu’à maintenant la logistique était éloignée du centre urbain pour des besoins d’espace : « on a déconnecté l’aspect stock (le foncier disponible pour des activités logistiques) et considéré seulement l’aspect flux (la livraison). Or, on s’aperçoit que si l’on veut agir sur les flux, notamment si l’on veut aboutir à de la mutualisation, on doit aussi avoir la main sur l’aspect stock », commente Cécile Maisonneuve (2). Ainsi, c’est l’émergence d’un nouveau marché d’entrepôts urbain. Comment ? Grâce à des espaces logistiques de proximité et à l’utilisation du Big Data. « Nous entrons dans une nouvelle ère logistique axée sur la donnée de la ville et celle du consommateur » déclare Corinne Rapital (2).

Vers la création de centres de consolidation de proximité

Dans cette optique de rationaliser les flux,les villes ont pour ambition d’implémenter une logistique urbaine du dernier kilomètre plus durable. Bien que réticentes au départ, de plus en plus de municipalités investissent en dédiant du foncier en centre-ville à des utilisations purement logistiques, bien que moins rentable en comparaison du foncier d’habitat dans l’immédiat, ces investissements ont pour ambition de dynamiser les centres-villes : « Il faut donc également accompagner les collectivités pour qu’elles ne considèrent pas leurs revenus à court terme mais à long terme » évoque Frédéric Delaval (2).

Certaines villes ont pris les devants, comme la ville de Bordeaux qui a déployé en 2018 un hôtel logistique urbain (HLU), situé en plein cœur de la ville, où trois entités du Groupe Laposte se partagent son utilisation à différents moments de la journée (time sharing). Une flotte de 72 véhicules (dont 70% électriques) assure la tournée en centre-ville. L’objectif est ainsi de mutualiser les équipements et utiliser un maximum de véhicules propres.

Concernant les problématiques de congestions et de pollution engendrées par l’augmentation des livraisons, des solutions sont déployées : intégration des consignes dans le mobilier urbain (gares, bureaux de poste, centres commerciaux, parkings…), utilisation de véhicules électriques ou à gaz naturel, espaces mixtes (bureau et logistique), zones de collecte et de stockage massifiées et mutualisées, piétonisation des tournées... Plusieurs chantiers sont également à l’étude comme la réunion des transports de personnes et de marchandises dans les transports publics, l’intégration du commerce dans le trajet domicile-travail (comme avec le concept Bluedistrib) ou encore la livraison par drone.

Ces nouveaux espaces d’échanges de biens ne peuvent pas, à eux seuls, assurer cette transition. L’exploitation des données issues de ces flux est indispensable pour dimensionner au mieux ces nouvelles plateformes multi-modales. Le Big Data apparaît alors comme le fer de lance de l’optimisation logistique.

Le Big Data au service de la logistique 4.0

L’essor du Big Data touche la logistique en plein coeur. Des moyens technologiques sont déployés sur toute la chaîne d’approvisionnement pour suivre au plus près les flux de marchandises grâce à l’Internet of Things (IoT) (3). La mise en oeuvre de ces outils entraîne de nombreux avantages pour l’ensemble des acteurs de la Supply Chain :

Améliorer la gestion des stocks et de la distribution : le Big Data permet d’analyser une masse de données très importante (volume des moyens de livraison, itinéraires, météo, trafic routier). Ainsi, les entreprises peuvent intégrer des données externes comme internes pour anticiper au mieux les stocks et les flux de distribution et gagner en efficacité et productivité (suivi des arrivées de marchandises, anticipation des temps de trajet des livreurs par exemple) (4). Du côté du consommateur, ces informations seront primordiales pour connaître l’état de sa commande en temps réel, les retards éventuels pour avoir une expérience client la plus fluide possible. Certaines organisations vont encore plus loin et se penchent déjà sur l’étape suivante : la livraison prédictive - permettant d’anticiper la zone géographique des commandes et ainsi positionner les stocks au plus près des consommateurs.

Anticiper les problèmes dans la chaîne d’approvisionnement : à travers les données issues de l’utilisation des moyens de livraison (véhicules, robots de tri etc.) les entreprises sont capables d’anticiper la maintenance en pratiquant de l’entretien préventif. Ainsi, les problèmes liés à l’usure du matériel sont réduits au minimum pour délivrer un service toujours plus fiable (5).

Offrir un service client performant et personnalisé : en dehors de l’aspect purement opérationnel - la livraison- la collecte de données sur les clients permet d’anticiper au mieux leurs besoins et leurs achats futurs. Ainsi les entreprises peuvent optimiser leur gestion et proposer des solutions sur-mesure aux clients finaux. L’illustration la plus courante est celle des services de livraison de repas qui personnalisent au maximum l’expérience utilisateur via la proposition de restaurants basée sur leurs goûts mais également la saisonnalité ou encore des événements externes.

Développer l’omnicanalité sur l’ensemble de la chaîne logistique : afin de supprimer la frontière entre on-line et off-line , les entreprises permettent aux clients de suivre au plus près les livraisons (UberEats ou toute autre application de commande de repas par exemple), de savoir si le produit est disponible en magasin (click-and-collect ou encore ship-from-store) ou encore d’adapter l’expérience client en magasin via des outils digitaux reliés à l’ensemble du parcours client.

C’est donc grâce à ces nouveaux outils que la chaîne logistique s’adapte aux nouveaux besoins du marché et des consommateurs, mais elle doit également s’intégrer de manière plus durable dans le paysage urbain pour répondre aux enjeux majeurs des grandes métropoles et des villes plus modestes : la désertification des centres-villes, l’engorgement, les problématiques de pollution. Face à ces défis, les municipalités ont décidé de passer la vitesse supérieure en imposant des restrictions de plus en plus contraignantes sur la circulation.

Prévenir les interdictions de circulation dans les métropoles

Plusieurs grandes villes comme Oslo, Madrid, Londres ou encore Mexico et Sao Paulo, ont décidé de mettre en place des restrictions de circulation afin de diminuer l’emprise des véhicules dans les centres-villes à travers diverses solutions : péage urbain, zone à trafic limité, circulation alternée selon la plaque d’immatriculation, zones à faible émission (6). Aux côtés des pouvoirs publics, les acteurs de la logistique urbaine doivent alors réinventer leur modèle et se tourner vers des solutions alternatives. Que ce soit le commerce de gros pour les entreprises ou de détail pour les particuliers, des solutions se développent et des entreprises ont déjà sauté le pas : depuis 2012, Franprix (Groupe Casino) achemine chaque jour plusieurs dizaines de conteneurs de denrées alimentaires par barge, à partir du port de Bonneuil-sur-Marne jusqu’aux pieds de la tour Eiffel. Après 7 ans d’exploitation, le bilan est plus que positif : aujourd’hui, c’est l’intégralité des magasins parisiens de l’enseigne qui sont livrés par la Seine. 3615 camions ont ainsi été retirés des routes, et l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) estime que Franprix a réduit de 25% ses émissions de gaz dans la capitale. (7) Après des résultats encourageants, +14% rien qu’en 2017, les perspectives de croissance de la logistique fluviale sont très fortes. Mais elles ne pourront se révéler vraies qu’à travers des investissements importants sur les infrastructures portuaires.

La progression des livraisons, calée sur le e-commerce, a engendré des problèmes de diverses natures : congestion, pollution, nuisances sonores et visuelles. Les pouvoirs publics sont tenus de réagir à travers un arsenal législatif de plus en plus important pour préserver la qualité de vie, de l’air mais aussi du patrimoine historique des villes. Face à ce phénomène, les acteurs de la distribution mais aussi les acteurs du commerce s’adaptent en optimisant voire en mutualisant leurs flux pour utiliser moins de véhicules, en s’appuyant sur des outils digitaux de plus en plus performants et en explorant des pistes existantes mais sous-utilisées. Les solutions sont là, elle se développent rapidement mais nous sommes seulement à l’aune d’une transformation profonde du paysage urbain, accélérée par l’urgence écologique.

Rédigée par Quentin BAUDE & Audrey ERME

Audrey ERME
Consultante en transformation numérique