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Reprise d’activité : entre craintes et opportunités

03 février 2021
Banque et finance

Avec la forte récession économique provoquée par la crise sanitaire, des impacts importants sont à prévoir sur le secteur bancaire et une surveillance accrue doit être mise en œuvre pour monitorer au plus près les risques de marché. Andrea Enria, le président du conseil de surveillance prudentielle de la Banque Centrale Européenne (BCE), considère qu’il est encore difficile à ce stade d’évaluer les risques « inévitables » d’aggravation des créances douteuses dans les bilans des banques qui « vont devoir faire attention ». « Pour avoir une vue plus claire de l'impact de la crise sur les bilans des banques, nous sommes en train d'effectuer une analyse de vulnérabilité dont les résultats seront publiés le mois prochain », a-t-il précisé courant juin.

Les craintes : Surveillance et données économiques

Outre Atlantique les données économiques relatives au secteur bancaire demandent également à être analysées pour rendre compte des risques sous-jacents. Par exemple un tiers des américains n’ont pas payé leur loyer, cette donnée a un impact direct sur la capacité des propriétaires à rembourser leur emprunt, impactant à terme la pérennité du système du crédit et la santé financière des banques.

Au niveau international, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) a demandé aux banques centrales de préciser les mesures de sortie des politiques monétaires ultra accommodantes de soutien prises en réponse à la crise du coronavirus. La BRI met en garde les marchés financiers contre une complaisance exagérée face à l’ampleur de cette crise. Le terme d’exubérance irrationnelle des marchés financiers théorisé par le prix Nobel Robert Shiller, a été pour la première fois employé par l’ancien responsable de la Reserve Fédérale Américaine (FED) Alan Greenspan en 1996 pour mettre en garde le marché sur le prix des actifs. Dans l’environnement macroéconomique actuel, les banques centrales sont le principal moteur des marchés financiers entrainant la décorrélation observée entre économie réelle et le prix des actifs financiers cotés.

Ainsi la BRI note dans son communiqué que « les prix des actions et les écarts de rendement (spreads) des obligations d'entreprise en particulier semblent déconnectés de la dégradation de l'économie réelle" estimant que la situation actuelle de la valorisation des actifs "ressemble davantage à une trêve qu'à un accord de paix". Agustín Carstens, directeur général de la BRI indique dans un communiqué que "Les banques centrales ont pleinement conscience des défis qui s'annoncent, les perspectives de l'économie mondiale demeurant très incertaines", "Certains de ces défis sont extérieurs à leur mandat."

Au niveau microéconomique bancaire européen, en France, Natixis est sous le feu des projecteurs et accuse le choc en bourse en raison d’une enquête sur sa filiale H20 menée par le régulateur anglais (FCA) suite à la vente d’obligations et d’actions non-liquide au financier allemand controversé Lars Windhorst. La filiale de la banque française est une ancienne star de l’industrie européenne de l’investissement qui a vu ses fonds, réputés volatiles, perdre plus de 50% en raison de la crise du coronavirus.

En Allemagne, la deuxième banque du pays, Commerzbank, envisage la suppression de plus de 7000 emplois en supplément des 4000 suppressions annoncés fin 2019 suite à un plan de réduction des coûts massif engagé notamment par le fonds activiste américain Ceberus, l’un des principaux actionnaires de la banque.

Toujours en Allemagne, le mois de juin a été marqué par la mise en faillite de Wirecard, laissant une dette de plus de 3,5 milliards aux mains de créanciers dont une quinzaine de banques. Cette société allemande spécialisée dans les paiements électroniques, créé en 1999 et employant près de 6000 salariés dans 26 pays, fut au centre d’un scandale avec la découverte d’un trou de près de 2 milliards d’euros dans ses comptes. Le titre a perdu plus de 80% après l’autorisation de cotation de la bourse de Francfort suite à l’annonce publique. Wirecard, dont la capitalisation boursière a atteint jusqu'à 28 milliards de dollars, est la première société cotée au DAX (indice boursier allemand de référence) à tomber.

Ce scandale historique d’irrégularités comptables, a eu des répercussions européennes. En effet, la commission européenne a saisi l’autorité européenne de supervision des marches financiers (ESMA) pour vérifier d’éventuels manquements du régulateur allemand (BAFIN).

Ce scandale pourrait se transformer en opportunité pour les concurrents de Wirecard qui pourraient acheter une partie des actifs de la société. Ainsi des investisseurs privés et des fonds de capital investissement ainsi que le spécialiste des paiements Worldline seraient intéressés par une reprise de certains actifs.

Des opportunités : Une consolidation du secteur bancaire en Europe ?

La plus grande banque Italienne Intesa Sanpaolo a fait une proposition de rachat de son concurrent, UBI Banca. D’après le Financial Time, cette opération de consolidation permettrait d’améliorer un secteur bancaire Italien encore très fragmenté. L’offre de rachat de près de 5 milliards d’euros a été approuvé par la Banque Centrale Européenne (BCE), le président du conseil de surveillance prudentielle de la BCE a indiqué que l’organisation européenne regardait « favorablement, quoiqu’avec prudence, les processus de consolidation du secteur » bancaire. 

Toujours en Italie, la Banque Banca Monte dei Paschi di Siena (MPS) étudie différentes hypothèses de fusion, dont une avec la banque Banco BPM. En parallèle, le Trésor italien qui détient près de 68% de MPS, depuis son renflouement de 8 milliards d’euros en 2017, s’est engagé à privatiser cet actif au plus tard en 2021. MPS a également annoncé son intention d’assainir son ratio de créances douteuses sous les 5% contre plus de 12% aujourd’hui en cédant 8 milliards d’euros de créances à risque.

En France, la banque Société Générale a annoncé à la fin du mois de juin le rachat de la fintech Shine spécialisé dans les Très Petite Entreprises (TPE). Cette acquisition a pour but de développer son offre digitale et séduire des entrepreneurs français pour se positionner en leader sur le marché bancaire des TPE. Cette offre de banque en ligne vient en complément d’actifs détenus par la Société Générale comme Boursorama qui est l’une des plus importantes banques en ligne européenne. La Société Générale se cherche une stratégie pour cette nouvelle décennie pour rester compétitif après avoir perdu du terrain depuis plus de 10 ans par rapport à son concurrent historique BNP Paribas.

Le mois de juin fut parsemé de craintes mais également d’opportunités en relation à la crise du coronavirus sur le secteur bancaire, il est intéressant de faire le parallèle avec la théorie économique de la destruction créatrice. Joseph Schumpeter, auteur de nombreuses théories sur l’évolution du capitalisme, théorise ce processus dans son livre Capitalisme, Socialisme et Démocratie publié en 1942. La crise que nous sommes en train de traverser pourrait s’apparenter à une phase de décélération permettant de rebattre les cartes de l’innovation pour construire demain, avec les investissements d’aujourd’hui, une croissance pérenne.