Ouverture à la concurrence ferroviaire : où en sont nos voisins ?
Le paysage ferroviaire français est en pleine mutation, mettant fin à l’hégémonie de la SNCF. En accord avec des directives européennes, le secteur ferroviaire français a progressivement ouvert ses portes, en commençant par le fret ferroviaire et les lignes internationales dans les années 2000.
Plus récemment, et ce qui nous intéresse, c’est le voyage national qui a été ouvert avec des appels d'offres pour les trains régionaux en 2019, et une concurrence ouverte depuis 2020 pour les trains librement organisés comme les trains grande vitesse (TGV). Désormais, des opérateurs ferroviaires peuvent effectuer du cabotage, c'est-à-dire du transport de marchandise, et du transport de passagers sans devoir coopérer avec la SNCF.
Depuis, des compagnies ferroviaires étrangères ont investi le territoire français.
En décembre 2021, Trenitalia, l'opérateur historique italien, a marqué son entrée en proposant des TGV sur l'axe Paris-Lyon-Turin-Milan. Plus récemment, en juillet 2023, un autre acteur, l’espagnol Renfe, a fait son apparition en offrant ses services sur les lignes Lyon-Barcelone et Marseille-Barcelone-Madrid. Cependant, plusieurs pays ont libéralisé leur marché ferroviaire depuis déjà de nombreuses années ou bien ont davantage été impactés par la récente concurrence européenne du rail. L’objectif est ainsi de regarder au-delà de nos frontières et explorer ce qui se passe dans l’Union Européenne afin d’anticiper l'avenir du secteur ferroviaire en France.
L’Italie : Des bienfaits durables pour le voyageur
Au contraire de la France qui a suivi les directives européennes, l’Italie a décidé d’être précurseuse pour l’ouverture à la concurrence de ses lignes à grande vitesse en 2004. En 2012, après plusieurs années de préparation, une deuxième entreprise est entrée en concurrence avec l’historique Trenitalia.
En effet, cette année-là, Italo s’est lancée sur le marché ferroviaire à grande vitesse au sein de la péninsule. Son modèle commercial original était de miser fortement sur le confort, les services proposés et le design de ses rames, notamment en proposant 3 classes de voyage (économique, première et business).
La pérennisation d’Italo sur le marché ferroviaire a poussé Trenitalia à s’aligner sur ce nouveau concurrent notamment en abaissant ses prix et en repensant son offre de service. Côté voyageurs, cela se traduit par :
- Une baisse des prix d’environ 30%
- Une amélioration des services dans toutes les classes via un renouvellement des rames
- Une forte augmentation de la fréquence des transports. Sur certaines lignes, comme Rome-Milan, la fréquence a plus que doublé ce qui a permis de passer de 1 million de voyageurs à 3,6 millions en 10 ans.
L'exemple de l'Italie suggère que l'ouverture à la concurrence pourrait offrir des avantages immédiats aux voyageurs français. De plus, elle pourrait également stimuler le renouvellement du réseau ferroviaire, un potentiel que l'Espagne et ses 4000 kilomètres de ligne à grande vitesse semble vouloir exploiter.
Espagne : Une compétition acharnée à 4
Dans le pays de Cervantes, Renfe, l’opérateur ferroviaire historique, a vu l'arrivée d'un concurrent, Ouigo España, une filiale de la SNCF, en Mai 2021. Alors que Renfe se concentrait principalement sur des services haut de gamme pour ses lignes à grande vitesse, l'opérateur français a pris une approche différente en lançant une ligne à bas coût pour gagner des parts de marché. Le succès de cette initiative a été si marquant que Renfe a dû réagir rapidement en créant sa propre compagnie low-cost pour les lignes à grande vitesse (LGV), Avlo, afin de contrer la progression de l'opérateur français.
En novembre 2022, une autre compagnie ferroviaire, Iryo, est apparue sur le marché espagnol. Partiellement détenue par Trenitalia, elle opère actuellement uniquement sur l'axe Madrid-Barcelone, et vise une clientèle d’affaires avec un service de haute qualité à bord. Afin de développer son offre, elle compte également s'étendre sur des axes plus touristiques comme Séville et Valence à l'avenir
Ainsi, il y a désormais quatre compagnies concurrentes sur les LGV en Espagne. La compétition a induit une réduction significative de 43 % des tarifs sur des itinéraires clés tels que Madrid-Barcelone. Cette baisse des prix a considérablement modifié les habitudes de voyage des Espagnols, les incitant à préférer le train à la voiture. En conséquence, la fréquentation des lignes à grande vitesse a connu une impressionnante augmentation de 34,5 % seulement de 2021 à 2022.
Pendant longtemps, la crainte d'un surdimensionnement du réseau à grande vitesse, qui est le deuxième plus long au monde, a été un sujet de préoccupation en Espagne dans la sphère politique. Cependant, la diversification des opérateurs de transport et l’augmentation de la fréquence des trains offrent maintenant l'espoir d'accélérer l'amortissement du réseau tout en optimisant son utilisation.
Si l’Italie et l’Espagne illustrent l'effet positif de la concurrence sur l'accessibilité et l'efficacité des services ferroviaires, offrant ainsi des exemples intéressants à considérer dans le contexte de l'ouverture à la concurrence en France, il est tout aussi instructif d'examiner un cas d'ouverture à la concurrence beaucoup plus ancien, comme celui du Royaume-Uni.
Grande-Bretagne : Une ouverture qui tourne au fiasco
Dès 1993, la Grande-Bretagne, encore membre de l’Union Européenne, a adopté une approche pionnière en matière d'ouverture à la concurrence dans le secteur ferroviaire bien avant de nombreux pays européens. Le pays a entrepris une privatisation complète, couvrant le transport de passagers, le fret et la gestion de l'infrastructure. Cependant, cette privatisation a été accompagnée d'ajustements au fil du temps, notamment le retour du réseau ferroviaire sous contrôle public en 2002.
Un aspect distinctif du modèle britannique est la création de 25 « franchises » pour le transport de passagers, attribuées à des entreprises privées par le biais d'appels d'offres. Ce modèle, semblable à des délégations de services publics comme on peut l’avoir pour certains transports urbains en France, présente un fort risque économique pour les transporteurs qui ont des moyens limités pour diminuer leurs coûts d’exploitation.
Le bilan sur les 20 dernières années montre que le système britannique a été l'un des plus sûrs d'Europe, avec une croissance significative du nombre de passagers.
Cependant, des coûts d’exploitation bien plus élevés que prévu ont engendré des problèmes économiques chez de nombreuses franchises, poussant certaines d’entre elles à arrêter leur contrat et forçant ainsi le gouvernement à la renationalisation temporaire. Ces incidents ont empêché la diminution du coût pour la collectivité et les voyageurs. Malgré une forte augmentation de la fréquentation des trains, comme cela a pu être le cas en Italie par exemple, une frustration s’est créée dans l’opinion publique britannique.
La pandémie et le Brexit n’ont fait qu’accentuer ces problèmes.
Face à ces défis, le rapport Williams-Shapps, publié en 2021, recommande une réforme en profondeur du système ferroviaire britannique. Cette réforme propose une simplification du secteur en regroupant la gestion du réseau et la fixation des tarifs et horaires sous un même organisme, la « Great British Railways ». Les lignes seront attribuées aux différents opérateurs privés sous forme de concession, appelée “Passenger Service Contracts”. Cependant, une chose certaine, à la différence du modèle précédent avec des franchises, le risque de revenus et les prévisions budgétaires seront portés en grande partie par la Great British Railways et non par les opérateurs privés.
Les nombreux revirements au Royaume-Uni sur les 30 dernières années, nous montrent que la France doit essayer de maintenir un équilibre entre l'ouverture à la concurrence et la régulation efficace pour garantir des services ferroviaires de qualité tout en protégeant les intérêts des voyageurs et de la collectivité.
Conclusion :
L'ouverture à la concurrence dans le secteur ferroviaire français offre une opportunité unique d'améliorer l'expérience des voyageurs, de rendre les tarifs plus abordables et d'encourager le développement durable. L'Italie et l'Espagne illustrent clairement la possibilité d’avoir un réseau ferroviaire performant, avec des coûts de péage réduits et une offre importante pour les utilisateurs. Cependant, il est important de bien faire attention à ne pas reproduire ce qui s’est passé au Royaume-Uni en régulant les différents services et notamment en évitant la multiplication de concurrents sur uniquement des axes très rentables, comme Paris-Lyon. Une idée de franchises proposant un bouquet de services plutôt qu’une offre unique pourrait permettre d’éviter ce problème.
La France a les cartes en main afin de tirer parti de ces enseignements et devenir un exemple mondial de l'efficacité et de l'accessibilité du transport ferroviaire.
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