Les impacts de la guerre en Ukraine sur le secteur aérien
Alors que le secteur de l’aérien entrevoyait de belles perspectives d’avenir en ce début d’année 2022, après 2 ans de crise COVID, celui-ci doit encore faire face à un nouveau défi venu d’Europe de l’Est. L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier a provoqué un séisme international avec des impacts directs et immédiats sur le secteur de l’aérien comme la flambée des prix.
L’une des premières victimes du secteur est le transport cargo stratégique, dont le fer de lance, l’unique et exceptionnel Antonov-225, s’est retrouvé détruit sous son hangar. Les sanctions internationales à l’égard de la Russie ne se sont pas fait attendre et l’aérien est encore une fois sur le devant de la scène.
Interdictions de survol
En Europe, le Royaume Uni a réagi en premier, dès le 25 février dernier, en interdisant le survol de son espace aérien à tout appareil russe (appartenant ou étant exploité par une compagnie russe). En représailles, la Russie a fait de même et fermé son espace aérien à tout appareil britannique. Quelques jours plus tard, c'est toute l’Europe, les Etats-Unis et le Canada qui lui ont emboîté le pas.
Toujours aujourd’hui, fin avril/début mai, seuls quelques vols spéciaux de rapatriements de délégations russes sont autorisés. Ceci a par exemple mené un avion officiel russe à effectuer un St Petersbourg-Paris en 08h35 au lieu de 03h habituellement le 16 avril dernier pour rapatrier des diplomates.
Un casse-tête pour les compagnies occidentales
Ces interdictions de survol ne sont pas sans poser des problèmes, notamment pour les compagnies aériennes européennes dont le temps de trajets pour les vols vers l’Asie est rallongé de 2 à 3 heures environ. Un Paris-Tokyo met désormais 14-15h au lieu de 12h, ce qui pousse les avions dans leurs retranchements en termes d’autonomie. Tous les plans de vols doivent être adaptés et les plannings de repos des équipages revus. Les pilotes doivent retracer les routes et calculer de nouveaux itinéraires de déroutement en cas de problèmes. Ajouté à cela une flambée des prix du pétrole, tous les éléments sont là pour rogner la rentabilité
Une opportunité pour les autres compagnies
Actuellement les frontières de nombreux pays asiatiques étant toujours fermées à cause de la pandémie de Covid, les impacts pour les compagnies occidentales restent pour le moment faibles. En revanche, tous les pays ne sanctionnent pas la Russie, ce qui profite aux compagnies pouvant toujours survoler ce territoire, comme les compagnies chinoises.
Certaines compagnies à mi-chemin entre l’Amérique et l’Asie, comme Turkish Airlines ou Emirates ne sont presque pas impactées. Bien au contraire, cela va leur permettre de capter encore plus facilement les passagers en transit entre les deux continents. Cet avantage concurrentiel vient renforcer leurs positions dominantes, notamment pour l’aéroport d’Istanbul ouvert en 2018 et qui depuis la pandémie, est le 1er hub européen en nombre de passagers transportés.
La crise des loueurs
Quelques semaines plus tard, c’est au tour des sociétés de location d’avions de demander aux compagnies russes de rendre leurs appareils. Ces dernières avaient jusqu’au 28 mars pour le faire, or le Kremlin leur a explicitement notifié de ne pas le faire. Conséquence, aujourd’hui ce sont environ 500 avions qui sont illégalement possédés par les compagnies russes pour une valeur globale estimée à environ 12 milliards d’euros. Les autorités étant même en train de changer les immatriculations des avions. L’objectif ici est d’indiquer leur appartenance à la Russie et non plus aux loueurs occidentaux (une loi a été adoptée en ce sens par le gouvernement russe).
La crise des matières premières
Comme mentionné précédemment, le prix du pétrole a explosé, or le kérosène étant le 2ème poste de dépense pour les compagnies, l’impact pour celles-ci est significatif. Maintenant les compagnies européennes ont massivement recours aux couvertures qui garantissent un prix fixe sur plusieurs mois. Par exemple, Air France était couverte à hauteur de 70% de ses dépenses sur les prochains mois.
A contrario, les compagnies américaines ont peu recours à ce dispositif. Elles ont donc dû payer le prix fort pour remplir les réservoirs de leurs avions, ce qui a eu un impact sur le prix des billets. Il est vraisemblable que ces prix élevés soient voués à perdurer. En conséquence, les prix des billets vont augmenter dans les mois et années à venir (d’autant plus que les compagnies françaises doivent injecter 1% de biocarburant, 4 fois plus cher, depuis le 1 er Janvier 2022).
Le pétrole n’est pas la seule matière première impactée, il y a également pour l’aéronautique le titane. Ce métal léger et résistant est très utilisé pour construire des composants clés comme les structures et réacteurs, or une grande partie de la production mondiale provient de Russie. L’avionneur américain Boeing a déjà stoppé l’importation de titane Russe car il en dépend beaucoup moins que son homologue européen Airbus. Ce dernier milite pour ne pas sanctionner les importations Russes qui mettrait grandement en péril toute la chaîne de production. À ce jour, aucune sanction particulière ne s’applique sur l’importation du titane russe au sein de l’UE.
Quels impacts à long terme ?
Les différents constructeurs occidentaux ont interdit toute vente et transfert de pièces détachées aux compagnies aériennes russes. Cet embargo, similaire à celui en Iran, met en péril tout le secteur de ce pays car la quasi-totalité des flottes sont composées d’appareils occidentaux. Les effets commencent déjà à se faire voir en Russie où les avions se font cannibaliser pour leurs pièces de rechange.
À long terme, cette situation peut poser de sérieux problèmes de sécurité et fiabilité des vols. Pour remédier à cette situation, le Kremlin souhaite relancer la production du Tupolev 214. Cet avion russe des années 90 est l’équivalent aux best-sellers Airbus A320 et Boeing 737, mais dont les piètres qualités n’en font pas un appareil compétitif.
Actuellement les programmes d’avions civils en Russie font encore appel à de nombreuses technologies occidentales, à l’image du Sukhoi SSJ100. Malgré la volonté du gouvernement de se rendre complètement indépendant, le chemin reste long pour changer de fournisseurs et maîtriser la construction d’avions capables de rivaliser avec les standards internationaux. En outre, les organismes de certification occidentaux, comme l’EASA, ont retiré les certificats de navigabilité pour tous les appareils de conception russe.
Pour l’heure, toutes les mesures prises ne font que renforcer l’isolement de la Russie, à l’image de l’exclusion temporaire de ses compagnies des alliances SkyTeam et OneWorld. Les conséquences sont donc avant tout côté russe et les prévisions globales de trafic pour cet été restent optimistes. Maintenant si le prix du baril de pétrole reste très élevé, cela impactera encore plus la trésorerie fragile des compagnies aériennes.
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