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Le train de nuit, itinéraire d’une renaissance

Le train de nuit, itinéraire d’une renaissance
16 mars 2022
Transport et mobilités

On le pensait sur de mauvais rails. Alors que la crise sanitaire a eu raison des liaisons Paris - Venise et Paris-Moscou (suspendues depuis le printemps 2020) et que le nombre de lignes françaises s’était effondré au cours des dernières décennies, le train de nuit, est, au cours de ces derniers mois, revenu sur le devant de la scène. 

Réouvertures de plusieurs lignes hexagonales, créations de liaisons européennes, campagne de communication politique intense : les signes de la renaissance du train de nuit sont indéniables. 

Le train de nuit : autopsie d’un déraillement 

Pour autant, ce retour sous le feu des projecteurs ne doit pas faire oublier les raisons qui ont progressivement amené le train de nuit au bord du précipice. 

Arrivé en France dans les années 1950, le train de nuit, porté par l’essor d’une société de loisir et par la dynamique économique des Trente Glorieuses, a vécu un développement fulgurant jusque dans les années 1980. À l’époque, les trains de nuit sont avant tout des lignes saisonnières et sont un des moyens privilégiés par les Français pour rejoindre leur lieu de vacances. Le succès est tel qu’entre 1965 et 1980, le trafic est multiplié par deux et représente  même jusqu’à 16 % du trafic total de voyageurs, pour la SNCF, à la fin des années 1970. 

Concurrencé par le Train à Grande Vitesse puis par les compagnies aériennes low-cost, miné par le manque d’entretien des infrastructures et des rames, l’âge d’or des trains de nuit va cependant prendre fin à l’aube du XXIème siècle. Perçu comme lent, inconfortable et peu fiable: le scepticisme des usagers pour ce mode de transport va croissant, ce qui participe à son déclin. 

La lente agonie du train de nuit est symbolisée par un chiffre : deux. C’est le nombre de liaisons ferroviaires nocturnes qui subsistent en France en 2017 (Paris-Briançon et Paris- Latour-de-Carol, dans les Pyrénées-Orientales). Pire, un rapport de la Cour des comptes, publié en 2019, souligne le coût prohibitif de ces lignes au regard du nombre de voyageurs transportés: elles ne représentent que 3 % du trafic mais… 25 % du déficit enregistré pour le réseau Intercité

Trop cher et mal-aimé des voyageurs, le train de nuit a pourtant su rebondir récemment et semble de nouveau être une alternative crédible de mobilité, comme l’attestent les récentes annonces du Premier Ministre, Jean Castex, qui a réaffirmé, dans un courrier envoyé à des élus locaux, courant janvier, de la volonté du gouvernement de rouvrir la ligne “Paris-Aurillac”. 

Les ingrédients d’un retour au sommet 

Parmi les raisons qui expliquent le mieux le retour à la mode du train de nuit, le critère écologique est sans doute le premier qui vient à l’esprit. Alors que le secteur des transports représente 31 % des émissions de CO2 dans l’hexagone et que la neutralité carbone est un objectif à l’horizon 2050, l’Etat français a vu dans la relance du train de nuit un moyen de changer les habitudes de déplacements des Français. 

Ce nouvel élan politique a, en plus, été facilité par une prise de conscience environnementale croissante des usagers. Mieux consommer, mieux manger, mieux se déplacer : les transports sont partie intégrante d’un nouveau mode de pensée pour lequel le “faire mieux” semble être devenu plus important que de “faire vite” ou “faire peu cher”. Le train de nuit, beaucoup moins polluant que la voiture ou que l’avion, renaît donc, en partie, grâce aux valeurs écologiques qu’il véhicule. Par exemple, sur un trajet Paris-Vienne, emprunter le train est quatre fois moins polluant qu’une voiture, et 6 fois moins polluant que l’avion. 

Par ailleurs, le retour en grâce du train de nuit ne peut pas être complètement dissocié d’un certain “désamour” pour l’avion, causé majoritairement par l’impact environnemental négatif du secteur aérien, qui pousse les voyageurs à privilégier des modes moins polluants. Cette tendance est d’ailleurs matérialisée par un mot : Flygskam.  Certes compliqué à prononcer, ce terme suédois est pourtant relativement simple à comprendre : il désigne la “honte de prendre l’avion”. Les partisans de ce concept préféreront donc utiliser des modes de transport plus respectueux de l’environnement (comme le train) quand cette option existe. 

En interdisant les vols intérieurs en cas d’alternative en train de moins de 2h30, dans le cadre de la loi “climat et résilience”, l’Etat français a d’ailleurs concrétisé, sur le plan législatif, l’essor de cette tendance. 

Plus qu’un moyen de transport “propre”, le train de nuit représente également une manière différente d’envisager la mobilité. Le déplacement d’un point A à un point B, autrefois perçu comme une contrainte et une perte de temps, devient, à bord du train de nuit, une partie agréable du voyage. Le voyage en train permet de se détendre, de profiter du paysage et d’arriver l’esprit tranquille à destination. À la différence de l’avion, prendre le train ne nécessite pas non plus de procédure administrative particulière ou de déplacement “annexe” au voyage, comme c’est le cas lorsqu’on se rend à l’aéroport. Mieux, le trajet en train de nuit permet de débuter et de terminer son trajet en centre-ville, sans aucun coût supplémentaire. 

Pour autant, l’aspect économique semble être, de prime abord, un des inconvénients du train de nuit : les tarifs proposés sont, en règle générale, deux à trois fois plus élevés que ceux proposés par une compagnie aérienne low-cost pour le même trajet. Néanmoins, ce prétendu point faible ne prend pas en compte un caractère fondamental du train de nuit : il permet d’éviter la réservation d’une nuit d’hôtel. Aussi, tel que mentionné précédemment, le facteur tarifaire n’est plus le seul critère de choix pour de plus en plus de voyageurs : l’importance de ce point faible apparent doit donc d’autant plus être tempérée.

L’étoile montante des rails, au cœur d’enjeux économiques … et politiques 

Ce regain d’intérêt pour le train de nuit ne concerne néanmoins pas uniquement les voyageurs. Les opérateurs de transport ferroviaire tentent, par exemple, de “surfer” sur cette nouvelle tendance, en proposant de nouveaux trajets et des offres commerciales variées censées répondre à tous les besoins. En Europe, ÖBB (Österreichische BundesBahnen), les “Chemins de Fer Autrichiens”, font figure de précurseur: l’opérateur a repris depuis plusieurs années ce segment, abandonné par la Deutsche Bahn, en créant notamment “NighJet”, une filiale dédiée. Poussée par une forte demande, l’offre de train de nuit de l’ÖBB s’est considérablement développée et représente aujourd'hui 20 % du chiffre d’affaires des Grandes Lignes de l’entreprise. 

D’ailleurs, la récente ouverture d’une ligne Paris-Vienne, en décembre 2021, n’est pas étrangere au succès de l’ÖBB. Fruit d'une coopération entre 4 opérateurs ferroviaires (ÖBB, DB, SNCF et CFF, les chemins de fer fédéraux suisses), cette ligne marque une étape importante dans ce qu’elle démontre des possibilités de liaisons transfrontalières qui existent en Europe. Des nouveaux trajets en train de nuit devraient être disponibles sur tout le vieux continent dans les années à venir : Zurich - Rome (via Milan) dès décembre 2022, Paris - Berlin à l’hiver 2023, ou même Barcelone - Zurich en décembre 2024. 

Dans l’hexagone, le retour du train de nuit va crescendo : en plus des deux lignes ayant “survécu”, de nouvelles liaisons vers Nice et Tarbes, au départ de la gare d’Austerlitz, ont vu le jour en 2021. De même, les réouvertures des liaisons Paris-Lourdes (décembre 2021) et Paris-Aurillac (avant 2024) démontrent que la France suit bel et bien la tendance. L’émergence de ces nouvelles offres de train de nuit est également favorisée par l’ouverture à la concurrence : SNCF Voyageurs n’est plus la seule entité à même de proposer de nouvelles liaisons. 

Dans ce sens, la création et le développement de Railcoop est un événement marquant: cette petite coopérative, qui a réussi à lever plus de 1,5 million d’euros en mars 2021, souhaite faire renaître certaines liaisons abandonnées par la SNCF, dans le but de “reconnecter” certains territoires enclavés sur la carte ferroviaire. L’un des chevaux de bataille de Railcoop est la réouverture d’une ligne Bordeaux-Lyon, sans passage par Paris, dont l’une des liaisons devrait s’opérer de manière nocturne. 

Cette volonté de “reconnecter les territoires” est d’ailleurs l’une des raisons invoquées par le gouvernement pour justifier de ce retour du train de nuit sur le devant de la scène. Pensé comme un “train d’équilibre du territoire”, le train de nuit permet de désenclaver certaines zones isolées et devient, de facto, un outil d’aménagement et de revitalisation. Pourtant, ces objectifs ne pourront être atteints sans efforts. 

La récente réouverture de la ligne Paris-Lourdes (Décembre 2021) illustre l’étendue des défis auxquels fait face le train de nuit en France. Les passagers de ce train de nuit ont, à plusieurs reprises,  eu la désagréable surprise d’être débarqués à Toulouse, à plus de 150 kilomètres de leur destination initiale, suite à un manque de personnel et à des problèmes sur les infrastructures ferroviaires. 

Afin de ne pas répéter les mêmes écueils que par le passé, il est donc fondamental que des investissements minimum soient réalisés, tant sur les infrastructures que dans le personnel. 

Ces actions doivent permettre au train de nuit d’être une alternative de mobilité crédible et non uniquement un effet d'annonce ou un instrument de communication politique. 

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Mathilde COMTE
Senior Partner - Directrice de l’Offre Transport et Mobilités

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Matthieu GILBERT
Offer Manager Transport & Mobilités