Europe : le train est-il sur la voie rapide pour détrôner l’avion ?
La mutation du secteur ferroviaire en Europe est un projet de transformation numérique de grande ampleur, essentiel à la transition écologique. Face aux ambitions de l’UE, le DSI et les Directions Métier sont confrontés à des défis majeurs : l’interopérabilité des systèmes, la complexité de l’harmonisation (ERTMS, billetterie OSDM) et le pilotage d’un réseau hétérogène. Comment la gouvernance du rail peut-elle surmonter ces freins techniques et réglementaires pour construire une colonne vertébrale européenne durable et compétitive ?
Le rail européen : un momentum favorable
Face à l’urgence climatique et à la demande croissante pour une mobilité plus durable, le ferroviaire européen bénéficie d’un momentum inédit. Trois dynamiques convergentes le placent au cœur des politiques de transition : la pression environnementale toujours plus forte, l’engouement général pour le train en Europe et l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence.
Le transport aérien, très émetteur de CO₂ (environ 4 % des émissions européennes), est de plus en plus remis en question malgré son succès toujours plus important. À l’inverse, le rail, qui ne représente que 0,4 % des émissions du secteur des transports, s’impose comme l’alternative la plus sobre. Cette différence alimente des politiques volontaristes, comme le Pacte vert pour l’Europe, qui vise une réduction de 90 % des émissions du secteur d’ici 2050. Des mouvements citoyens comme le flygskam (la honte de prendre l’avion) traduisent cette prise de conscience collective.
L’Union européenne investit massivement dans le rail : 2,8 milliards d’euros ont récemment été alloués à 94 projets de transport, dont 77 % concernent le ferroviaire. Parmi les projets phares : Rail Baltica, la modernisation des lignes en Tchéquie et en Pologne, ou encore le déploiement du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre du réseau transeuropéen de transport (RTE-T), qui vise à connecter les capitales européennes et à tripler le nombre de passagers en train à grande vitesse d’ici 2050.
Ce soutien politique s’accompagne d’une attente forte des citoyens. Les sondages Eurobaromètre montrent une préférence croissante pour des modes de transport durables, et une volonté de voir l’Europe investir dans des infrastructures ferroviaires modernes, fiables et accessibles.
Cependant, malgré cet élan, plusieurs freins structurels ralentissent l’intégration du rail à l’échelle européenne.
Des obstacles persistants à lever
Le premier défi est technique : les réseaux nationaux restent fragmentés, avec des systèmes de signalisation, des normes de sécurité et des gabarits différents. L’ERTMS (système européen de gestion du trafic ferroviaire), censé harmoniser la gestion du trafic, n’est encore pleinement déployé que sur 61 % des lignes principales, et seulement 14 % des lignes secondaires. Cette hétérogénéité entraîne des retards, des surcoûts et une complexité opérationnelle. Plusieurs obstacles techniques s’ajoutent à cela comme l’écartement des voies, les tensions alimentaires et surtout le problème décisif que représente la signalisation et que l’ERTMS est censé harmoniser.
Le deuxième obstacle est économique et réglementaire. Le marché ferroviaire européen reste morcelé. Si la libéralisation a permis des avancées dans certains pays (comme en Italie ou en France), l’ouverture à la concurrence reste inégale. Des opérateurs comme FlixTrain peinent à s’intégrer aux réseaux nationaux, limitant les correspondances et la fluidité des trajets.
Troisième frein : l’absence de billetterie intégrée. Voyager d’un pays à l’autre nécessite souvent l’achat de plusieurs billets, parfois plus chers qu’un vol équivalent. Des initiatives existent, comme la feuille de route de la CER pour une billetterie unifiée d’ici 2025, mais leur mise en œuvre reste lente, freinée par des intérêts divergents.
En 2025, l’Europe a franchi une étape décisive vers une billeterie ferroviaire unifiée. Porté par la Communauté des entreprises ferroviaires européennes (CER) et soutenu par la Commission européenne, le modèle OSDM (Open Sales and Distribution Model) est désormais adopté par plusieurs grands opérateurs (SNCF, DB, Trenitalia, ÖBB, CFF, PKP). Ce standard permet de vendre des billets multi-opérateurs via une seule interface, facilitant les trajets transfrontaliers. Ce modèle est vu comme une réponse technique intéressante mais probablement pas suffisante en raison du problème persistant des infrastructures que l’OSDM ne peut résoudre totalement (écartement des voies, signalisation, alimentation électrique).
La feuille de route CER, régulièrement évaluée, montre des avancées notables : meilleure disponibilité des billets, intégration croissante des systèmes de réservation, et développement d’une plateforme d’échange d’informations en temps réel. L’objectif est clair : permettre aux voyageurs d’acheter un billet unique pour un trajet européen, quel que soit le nombre d’opérateurs impliqués.
Cependant, des défis subsistent. Tous les opérateurs ne sont pas encore techniquement et économiquement prêts, les accords commerciaux restent complexes, et l’expérience utilisateur varie selon les plateformes. Si l’unification progresse, sa réussite dépendra de la coopération entre acteurs et de la volonté politique à finaliser cette transformation.
Enfin, le financement du rail transnational reste complexe. Les investissements nécessaires sont lourds, et les subventions publiques mal coordonnées entre États membres. Les priorités politiques varient, certains pays privilégiant leur réseau national au détriment de l’intégration européenne.
L’expérience voyageur, clé de l’attractivité
Pour que le rail devienne une alternative crédible à l’avion, l’expérience utilisateur doit être repensée. Cela passe par une billetterie simplifiée, idéalement via un guichet unique européen, mais aussi par une qualité de service homogène : ponctualité, confort, services à bord.
La comparaison avec l’avion reste défavorable sur plusieurs aspects. Le train est souvent plus cher, moins rapide et moins pratique, malgré ses avantages écologiques. Une étude de Greenpeace corroborée par le calculateur de l’agence de la transition écologique (Ademe) montre que sur 60 % des trajets européens, l’avion est moins cher que le train. Pourtant, des initiatives comme le pass à 9 € en Allemagne ont prouvé qu’une tarification attractive peut faire basculer les usages. L'impact sur les comportements de mobilité a fait l'objet de recherches, dont une étude menée par l'université technique de Munich auprès de 1 000 participants dans la région de Munich. Les résultats partiels pour la période allant de juin à mi-juillet ont montré que 35 % des participants ont utilisé davantage les bus et les trains, tandis que seulement 3 % ont utilisé moins leur voiture.
Innover pour rester compétitif
L’avenir du rail passe aussi par l’innovation. L’automatisation, la signalisation numérique et les tests en environnement digital (comme le Digitales Testfield de la Deutsche Bahn) sont autant de leviers pour améliorer l’efficacité et la fiabilité du réseau. Le Digitales Testfield est un projet collaboratif porté par la Deutsche Bahn et le gouvernement allemand qui cherche à tester et développer les technologies ferroviaires du futur dans des conditions réelles d’exploitation.
Mais cette numérisation croissante expose aussi le secteur à de nouveaux risques. La cybersécurité devient un enjeu stratégique : garantir la sécurité des données et des systèmes est indispensable pour maintenir la confiance dans un réseau interconnecté à l’échelle européenne.
Conclusion :
Le rail européen dispose aujourd’hui d’atouts majeurs pour s’imposer comme une alternative crédible à l’avion : faible empreinte carbone, soutien politique renforcé, investissements massifs et attentes citoyennes fortes. Pourtant, malgré ce contexte favorable, son développement reste freiné par des obstacles persistants : fragmentation technique des réseaux et systèmes de signalisation, absence de billetterie intégrée, concurrence inégale et manque de coordination entre États membres.
La mise en place progressive d’une billetterie unifiée, notamment via le standard OSDM, marque une avancée concrète vers une expérience voyageur simplifiée. Mais pour que le train devienne un véritable levier de la transition écologique à l’échelle européenne, il faudra aller plus loin : harmoniser les systèmes de signalisation, renforcer l’interopérabilité, garantir la cybersécurité et surtout, faire converger les volontés politiques.
Le train est prêt. Reste à lever les derniers verrous pour qu’il devienne, enfin, le pilier d’une mobilité européenne durable, accessible et compétitive.
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