Loi accessibilité numérique : quels impacts pour les entreprises ?

Bien que la nouvelle loi élargisse le périmètre d’entités concernées par l’obligation d’accessibilité, elle s’inscrit toutefois dans un historique de bonnes pratiques qui date de plus de 30 ans et à la suite de textes et décrets qui obligent les entités à prendre en compte l’accessibilité depuis de nombreuses années.
Historique réglementaire français de l’accessibilité numérique
Depuis 2005 pour les administrations et 2019 pour le secteur privé ayant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d’euros, les sites et applications mobiles doivent :
- Être conforme aux normes d’accessibilité
- Avoir une déclaration de conformité et mentionner le taux sur la page d’accueil
- Former ses collaborateurs
- Publier un schéma pluriannuel tous les 3 ans
Le bilan n’est cependant pas glorieux. En effet, d’après l’observatoire de la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France, seulement 3,65% des sites respectent leurs obligations d’affichage et 0,38% se déclarent totalement conformes, sur un échantillon de 7309 sites.
À ces obligations s’ajoutent, pour certaines entreprises, de nouvelles obligations concernant leurs produits physiques et services.
Les nouveautés de l’European Accessibility Act (EAA)
1. Un élargissement du périmètre
La directive européenne EAA de 2019, transposée en France par la loi DDADUE de 2023, vient élargir les obligations concernant les produits physiques et services à destination du consommateur (B2C) :
- Un produit est “une substance, une préparation ou une marchandise produite par un procédé de fabrication”. Par exemple : terminaux en libre service délivrant certains services concernés, smartphone, ordinateurs avec leur système d’exploitation, liseuses numériques etc…
- Un service est un contrat de gré à gré avec chaque consommateur. Les supports numériques (sites e-commerce, espaces client bancaires, interfaces d’automates en libre service etc.) doivent donc être conformes depuis le 28 juin 2025. Cela concerne les secteurs bancaires, du transport, des médias, de la communication électronique et le e-commerce notamment.
2. Des obligations différentes de la loi Handicap, qui peuvent se cumuler
Les obligations amenées par cette nouvelle réglementation :
- Conformité du service / produit (le référentiel le plus proche est le WCAG 2.2. Le RGAA actuel est issu des WCAG 2.1 mais n’est pas aussi complet, c’est toutefois une très bonne base pour le web)
- Transparence vis à vis des autorités de contrôle en cas de non conformité
- Mise à disposition d’informations concernant l’accessibilité du produit / service
Il n’est pas question ici d’un schéma pluriannuel ni de la formation des collaborateurs.
3. Deux dates annoncées… mais finalement plutôt une seule.
Le délai supplémentaire du 28 juin 2030 semble davantage être une exception plutôt que la règle pour les services numériques.
Également, des exemptions sont mises en places pour les cas suivants :
- Micro-entreprises (moins de 10 personnes et ayant un chiffre d’affaire inférieur à 2 millions d’euros)
- Une modification significative du produit ou du service modifiant fondamentalement la nature
- Une charge disproportionnée aux opérations économiques
- Ventes B2B
Impact pour les entreprises
1. Le risque financier
Plusieurs organismes de contrôles seront en mesure de vérifier le respect des obligations :
- Livres numériques : ARCOM
- Transports et Services de communication électronique : DGCCRF et ARCEP
- Médias et audiovisuel : ARCOM et DGCCRF
- Commerce électronique: DGCCRF
- Services bancaires : DGCCRF, AMF et Banque de France
Les enquêtes pourront être déclenchées de deux manières : par programmation annuelle ou via des signalements (SignalConso). C’est notamment ce dernier déclencheur qui est un facteur de risque difficilement mesurable.
L’objectif de l’ARCOM est d’atteindre un objectif de 2000 contrôles par an dès 2026. Celui-ci reste cependant ambitieux d’après les experts en accessibilité.
Suite aux contrôles, des avertissements par courrier seront envoyés. Si des correctifs ne sont pas mis en place avant un certain délai, alors des sanctions, qui peuvent être cumulatives, seront prononcées :
Pour l’EAA :
- Amende avec un montant maximal de 7500€ pour les personnes morales et 1500€ pour les entités physiques
- Amende de 15 000€ en cas de récidive
Le code de consommation prévoit également des pénalités journalières de 3000€ (dans la limite de 300 000€), appliqués par la DGCCRF.
Pour la loi Handicap :
- Pour le secteur privé : 20 000€ (secteur privé) ou 50 000€ (secteur public) en cas de non-respect des obligations
- Amendes de supplémentaires de 25 000€ en cas de non-respect des obligations déclaratives
Par ailleurs, les entreprises peuvent être sanctionnées jusqu’à 300 000€ en cas de plainte pour discrimination.
L’évolution de la réglementation sur l’accessibilité et les risques qui en découlent doivent donc être suivis par les services juridiques, au même titre que les autres réglementations (données personnelles, sécurité…).
2. Le risque d’image
De la même façon que les déclarations de vol de données à la CNIL diminuent la confiance des utilisateurs dans un site, les plaintes d'associations risquent d'entacher l’image de marque d’entreprises qui prônent par ailleurs leur engagement social et environnemental.
Bonnes pratiques et stratégies pour se conformer efficacement
La priorité selon nous : investir sur les compétences. Cela peut être :
- En formant une personne en interne spécifiquement à la réalisation d’audit d’accessibilité mais aussi sensibiliser et former l’ensemble des acteurs intervenant dans la chaîne de production du service numérique.
- En faisant appel à des partenaires capables d’intégrer l’accessibilité numérique au même niveau que d’autres types d’expertise (SEO, UX/UI, sécurité…)
Le sponsoring au plus haut niveau est ici un facteur clé de succès de la pérennité de la démarche.
Cet investissement permettra de diminuer à terme les coûts, en intégrant l'accessibilité numérique dès le début et à toutes les étapes du projet. En effet, corriger un défaut d'accessibilité en production peut coûter 2 à 3 fois plus cher qu’en développement ou en QA (Source : Deque).
Perspectives et enjeux futurs
Depuis le début de l‘entrée en vigueur des obligations, aucune sanction financière n’a été prononcée. Cependant, l’arrivée de l’EAA et la multiplication des autorités de contrôle semblent aller dans le sens du RGPD il y a quelques années.
En 2018, les premières sanctions étaient tombées un mois après la mise en application du RGPD, et bien que celles prévues pour l’accessibilité soient dérisoires comparées à 4% du chiffre d’affaires, il est difficilement envisageable que celles-ci s’allègent avec le temps.
D’ailleurs, on constate que l’accessibilité numérique apporte des gains indirects :
- Un avantage concurrentiel, avec une augmentation de l’audience et du marché potentiel
- Une meilleure image de marque
- Une meilleure qualité du code avec le respect des standards
Faire du numérique un levier d’inclusion, pas d’exclusion
Il est donc grand temps de prendre le sujet en main, notamment au regard de l’importance du numérique dans nos sociétés et à quel point il peut être facteur d’exclusion sociale si on ne peut pas s’en servir.
Aussi, il ne faut pas tomber dans le piège des “solutions clés en main” que pourraient être l’intelligence artificielle ou les outils de surcouche, qui peuvent améliorer l’expérience mais ne remplacent aujourd’hui aucunement la prise en compte des critères du RGAA ou des WCAG.
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L’avenir du numérique et la digitalisation de notre société dépendent fortement de notre capacité à mettre en œuvre des services numériques durables, inclusifs et éthiques.

